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Critique de Luxi


Nous rencontrons Lord Josiah Eddington Scarcewillow en pleine Angleterre victorienne, vampire de son état, accompagné de son serviteur Rudolf Collins, personnage aussi mystérieux qu'attachant. L'existence de Josiah s'écoule, décennie après décennie, en une lente et longue routine forcée jusqu'au jour où il croise LA jeune femme qui va fissurer cette routine, la jeune Abigale Madeleine Bellflower. C'est un véritable coup de tonnerre dans sa chair imperturbable et son coeur de métal. Sauf qu'Abigale est humaine…
Ce qui frappe dès les premières pages, c'est l'esthétique : tout est très beau, c'est mélodieux, ça brille, entre le velours et la nacre. On retrouve cette élégance et ce raffinement dans l'écriture de Mathieu Guibé : lyrique – presque ampoulée parfois –, très apprêtée, embrasée. On pourrait la trouver prétentieuse de temps à autres mais c'est le choix de l'auteur d'avoir voulu écrire façon XIXe et ça fonctionne. Après, les phrases sont souvent longues, élancées, étirées à l'image de ce vampire que l'éternité épouse.
Le thème principal de ce roman fait partie des grands questionnements de ma vie. Je me demande souvent si l'immortalité est une torture ou un bienfait. Fascinée par les romans d'Anne Rice et son Lestat de Lioncourt – à mes yeux le vampire le plus charismatique jamais créé – je sais combien je suis intransigeante dès qu'il s'agit d'une histoire de vampires.
Mais Mathieu Guibé va plus loin : questionnant la Mort et ses prodiges, forçant ses limites, repoussant ses frontières, il nous raconte avec un mélange d'horreur et de passion l'histoire d'amour d'un vampire et d'un fantôme. Une histoire déchirante reliant deux êtres que rien ne peut plus réunir physiquement, aussi violente que les ténèbres et aussi désespérée qu'un monde qui se meurt.
Ce roman est perturbant parce qu'il nous place dans une position inconfortable et déplaisante. Josiah est un être à deux faces, à la fois gentleman et prédateur, un homme "presque normal" qui soudain se transforme en une bête sanguinaire qu'aucune morale personnelle ne guide plus. C'est un tueur glacial qui aime supplicier ses proies, un "monstre" comme il le dit si souvent lorsqu'il observe de l'extérieur l'être qu'il est devenu.
Et tout au long de ma lecture, j'étais incapable de savoir si j'aimais Josiah ou s'il me répugnait. Certaines scènes sont atroces, répugnantes, surgissant sans avertissement pour s'achever dans un bain de sang. D'autres m'ont profondément dérangée sans que la moindre goutte de sang ne soit versée. Mais c'est un beau tour de force de la part de l'auteur d'avoir su peindre avec autant de justesse les pétillements comme les laideurs de l'être humain.
Mathieu Guibé pose une question essentielle : qu'est-on vraiment capable de faire pour l'être aimé ? Jusqu'où peut-on aller ? On ne voit souvent de l'immortalité que ses beaux atours : la possibilité de découvrir infiniment, d'apprendre infiniment, de tout voir, tout expérimenter, tout savoir… mais il y a la perte aussi. L'absence surtout. Perdre l'être que l'on a adoré, que l'on adore encore, et le perdre non pas 20, 30 ou 50 ans jusqu'à ce que la mort nous prenne mais dans l'éternité. Souffrir jour et nuit, année après année, sous la cruauté de son souvenir, sans que jamais n'apparaisse l'horizon, sans que jamais l'esprit ne trouve un semblant de repos.
Alors on retrouve du Louis et du Lestat dans ce texte, un peu du célébrissime Dracula bien sûr, on pense aussi aux inoubliables Sam et Molly du sublime film "Ghost". En plus d'être un tragique roman sur l'amour impossible, "Even dead things feel your love" est une très belle métaphore du deuil, cette longue et sinistre agonie qui vous empêche à jamais de toucher le disparu tant adoré alors même qu'il vous apparaît partout. C'est un roman qui raconte l'extrême solitude, l'absence énorme qui vous étouffe, la peine immense, le désir qu'on bâillonne et ce sentiment d'une existence vaine qui n'a ni solution ni dénouement heureux.
Voilà au fond pourquoi cette lecture reste en demi-teinte pour moi, comme les autres romans de Mathieu Guibé que j'ai lus auparavant : c'est trop noir pour moi, trop lourd, trop désespéré. Il y a pourtant de belles étincelles de lumière ici et là, mais qui ne parviennent pas à m'extirper de cette boue visqueuse, gorgée de ténèbres et d'un découragement si pur et si total qu'il absorbe tout le reste. C'est un très beau roman avec ses faiblesses comme ses grâces, mais très dur, très cruel et douloureux.
Une mention très spéciale pour la couverture ensorcelante imaginée par Alexandra V. Bach.
Lien : https://lechemindeslivres.wo..
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