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Critique de SebastienFritsch


Dès son titre, magnifique et cruel, ce texte annonce qu'il se fonde sur la dualité
Journal intime, il se double d'un reportage journalistique dans le monde intellectuel et artistique des années 70 et 80.
Ses personnages, cachés sous des noms fictifs, sont des personnalités publiques de cette époque. le dénommé Muzil, par exemple, est Michel Foucault, première célébrité française à mourir du SIDA. J'en profite pour remercier @louisgrlt_ pour avoir éclairci ce point, qui aide à comprendre, et, plus encore, pour m'avoir donné envie de ressortir ce livre de mes étagères.
Revenons à la dualité de ce texte. Elle se voit aussi dans le contraste entre la misanthropie de l'auteur et son aptitude à aimer puissamment quelques rares spécimens d'humains. Dans le cas de Muzil/Foucault, cet amour se fait admiration ; dans le cas de Jules et Berthe et leur progéniture, il s'incarne dans une affection et un attachement familial, Jules étant à la fois l'amant d'Hervé et le compagnon de Berthe, laquelle a eu 2 enfants de Jules et épousera Hervé, 2 ans avant sa mort. Cette "famille" est, finalement, une autre représentation de la dualité : doubles rôles des trois adultes, contraste entre la liberté des relations et la force des liens.
Passons à d'autres personnages, moins sympathiques, du fait qu'ils montrent un autre avatar de la dualité : la duplicité. Des amis-pour-la-vie se détournent d'un Hervé malade ; une grande actrice, très proche de lui, abandonne un projet de film qu'il avait écrit, qu'elle devait jouer et sur lequel des producteurs étaient engagés.
L'opposition entre mensonge et vérité, visible dans ces 2 cas, s'immisce aussi dans le monde intérieur d'Hervé Guibert, dès lors qu'il se sait contaminé par le VIH. Annoncer sa maladie ou la taire, à sa famille, à ses amis ? Se cacher à soi-même l'échéance, en se berçant de faux espoirs ou l'accepter sans fard ? Ou encore osciller entre ces divers états d'esprit, selon les sensations du jour, inévitablement subjectives, ou les résultats d'analyses, cruellement objectifs.
En montant encore d'un cran sur l'échelle de la dualité et en avançant vers la certitude de son décès proche, Guibert s'appuie alors sur un duo encore plus célèbre et indissociable : celui que forment la vie et la mort. La première est inévitablement orientée vers la seconde, mais peut se trouver entachée par l'inquiétude que suscite l'ignorance de la date de la "passation de pouvoir". À l'inverse, frappé par une maladie ne laissant que 6 à 8 années à vivre (en l'état des connaissances de l'époque), Hervé Guibert se sent libéré de l'angoisse de la mort, qui ne le prendra plus par surprise, et invité de ce fait à profiter de cette vie dont la limite est fixée.
Enfin, même s'il y aurait encore beaucoup d'autres exemples à développer pour appuyer cette idée de dualité (dérision / désespoir, pulsions charnelles violentes / tendresse attentionnée), je terminerai sur le style de Guibert. Il aime les phrases longues, rythmées uniquement par des virgules et qui serpentent même parfois sur plusieurs pages (et, en cavalant ainsi de ligne en ligne, se font l'allégorie de cette envie de foncer, sans point, sans pauses, dans cette vie qui s'éteindra bientôt). Mais il aime aussi la langue française raffinée, riche, jusqu'à laisser leur place aux imparfaits du subjonctif. Guibert est ainsi à la fois moderne et classique. Un rouage essentiel de la littérature.
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