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Critique de YvesParis


Dans son dernier opus, le géographe Christophe Guilluy reprend la thèse provocatrice qui avait fait le succès de ses deux précédents essais : "Fractures françaises" (2013) et "La France périphérique" (2015).
Cette thèse a le mérite de la simplicité : deux France s'opposent, la France des métropoles, connectée, hypermobile, multiculturelle, et la France périphérique des villes petites et moyennes et des territoires ruraux, condamnée à la sédentarité et en voie de désaffiliation des structures traditionnelles (partis, syndicats...).

Je me souviens de l'intérêt qu'avait provoqué chez moi, l'an passé, la découverte de cette thèse. Cet intérêt est à l'origine de la curiosité suscitée par "le Crépuscule de la France d'en haut" et le désir de le lire. Las ! dans son nouveau livre, Christophe Guilluy se borne à surfer sur la vague d'émotion causée par sa thèse et à la nourrir. Il le fait dans le style, pas vraiment sympathique, qui est le sien, procédant non par démonstration mais par affirmation, utilisant quelques formules (la "fanfare républicaine", les métropoles-nouvelles citadelles, la "métropolisation" visage géographique de la mondialisation, le brouillage des classes, la ville ségrégée, l'évitement social, etc.) censées valoir par la seule force de leur répétition.

Contrairement à ce qu'on son titre annonce, le sujet du livre est moins le crépuscule que le procès de la France d'en haut. Sans doute Christophe Guilluy ne porte-t-il pas dans son coeur les élites qui peuplent les quinze plus grandes métropoles françaises. Il leur reproche leur hypocrisie : elles prônent une "société ouverte" et multiculturelle, mais pratiquent de fait, dans le choix de leur résidence et de l'école de leur enfant, l'entre-soi. La charge contre la gauche hashtag et contre tous les bobos – qui se voient bohêmes mais n'en demeurent pas moins avant tout bourgeois – n'est pas toujours habile ; elle n'en est pas pour autant dénué de pertinence : « quand un bobo achète les services d'une nounou africaine, cette « exploitation traditionnelle du prolétariat » sera habillée d' « interculturalité ». Mais si Fatoumata garde les enfants de la petite bourgeoisie, qui gardera les enfants deFatoumata ? » (p. 76)

Pour autant, la détestation qu'il leur voue ne suffit pas à annoncer leur inexorable déclin. Car face à elles, les populations défavorisées qui peuplent la France périphérique ne préparent aucun « grand soir ». le mouvement des Bonnets rouges, que Christophe Guilluy évoque mais qu'il n'étudie pas, aurait pu nourrir la thèse d'une France au bord de l'explosion sociale. C'est moins de révolte que de désaffiliation - ou de "marronnage" pour reprendre le titre du quatrième et dernier chapitre du livre - dont il est question : ces populations qui ne se sentant plus écoutées, plus comprises, plus représentées, abandonnent lentement le navire.

Notons l'intéressante conclusion à laquelle arrive Christophe Guilluy. Elle concerne moins, répétons-le, la France d'en haut et son soi-disant déclin que la France d'en bas. Remarquant non sans motif que « le multiculturalisme à 1000 euros par mois » (p. 203) n'est pas facile à vivre [comprendre : des revenus aisés permettent de tenir un discours multiculturaliste en évitant de devoir en payer le prix quotidien alors que les populations des banlieues de métropoles ou des zones abandonnées de la périphérie n'ont pas cette option-là], l'auteur prédit que : « l'affrontement communautaire à redouter n'est pas prioritairement celui qui opposera les « petits Blancs » aux « musulmans », mais celui des minorités entre elles sur des territoires qu'elles sont contraintes de partager. » (p. 216). Il en donne pour exemple, non pas la Seine Saint Denis ou les quartiers nord de Marseille mais … la Corse qui a, en effet connu en décembre 2015 à Ajaccio et en août 2016 à Sisco d'inquiétantes poussées de violence.
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