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Critique de Woland


Woland
17 septembre 2017
Etoiles Notabénistes : ******

The Way West
Traduction (revue pour la présente édition) : Jacques Dilly
Postface : Bertrand Tavernier

ISBN : 9782330078843

De ce second tome de la fresque consacrée par A. B. Guthrie à l'Histoire de son pays, Hollywood, toujours aussi incorrigible, a tiré un film, sorti en 1967, où Robert Mitchum, remarquable comme à l'accoutumée, campe un Dick Summers plus vrai que nature face à un Richard Widmark qui assure dans le rôle de Lije Evans et d'un Kirk Douglas pour une fois utilisé à contre-emploi dans le rôle, infiniment moins sympathique, de Tadlock. le réalisateur, Andrew V. McLaglen, respectable vétéran du western filmé, assure hélas ! une mise en scène sans imagination ni surprise qui, comme vous l'explique Tavernier dans sa postface, eût certainement gagné à plus de virtuosité.

En effet, si "La Captive Aux Yeux Clairs" est un roman lyrique, contemplatif et, en quelque sorte, introverti, une sorte d'immense et lente promenade dans un pays où l'homme commence à peine à se hasarder et plus proche de l'"Atala" de notre bien-aimé et si romantique Chateaubriand que de la course déjà effrénée, bien que muette, de "The Great Train Robbery" de Porter et McCutcheon, sorti en salle en 1903, "La Route Vers l'Ouest", second tome de la saga "The Big Sky", marque en quelque sorte avec solennité la fin de l'ère des "mountain men" au bénéfice de celle des colons et pionniers, cahotant à hue et à dia dans leurs chariots à la silhouette si reconnaissable, entoilés de capotes initialement blanches mais qui finissaient à fin de l'étape couvertes de poussière grise ou carrément noires.

Le convoi que Guthrie choisit de nous dépeindre part du Missouri pour rejoindre l'Oregon et nous n'y connaîtrions absolument personne si le commanditaire, un certain Tadlock, Yankee fortuné et aussi arriviste que déterminé, qui possède en outre un important troupeau de bétail à convoyer, ne tenait à tout prix à arriver bon premier sur les nouvelles terres pourtant si lointaines ("les premiers arrivés seront les mieux servis," assure-t-il avant autant de réalisme que de cynisme) et, pour ce faire, n'engageait comme guide un vieil ami à nous, Dick Summers.

Summers se retrouve tout juste veuf de sa Mattie auprès de laquelle, nous l'avions appris à la fin du tome I, il avait décidé de se faire fermier et de se ranger en quelque sorte des voitures. Mais cette vie sédentaire ne lui avait jamais convenu et il n'avait jamais cessé de rêver à son passé de coureur des prairies. Maintenant que les fièvres lui ont enlevé Mattie, rien ni personne ne le retient au Missouri et, bien qu'il n'apprécie guère l'arrogance et les manières de petit chef de Tadlock, il accepte finalement de guider le convoi, baptisé "Va Pour l'Oregon". Après tout, il n'a que quarante-neuf ans et, puisque la vie de fermier et le mariage paisible et conformiste semblent le repousser vers ses anciennes amours, il en conclut que, pourquoi pas ? oui, pourquoi ne reprendrait-il pas sa vie sans entraves de coureur de pistes ?

D'autant que, dans ce convoi qui réunit des personnalités évidemment très éclectiques, il se prend d'une vive sympathie pour Lije Evans, toujours heureux de vivre et toujours pétri d'optimisme, en qui il pressent d'ailleurs une âme de chef et un sens des responsabilités hors normes. Avec Lije, partent sa femme, Rebecca, une femme faite sur le même moule, et leur jeune fils de dix-sept ans, Brownie, sans oublier leur vieux chien fidèle, Rock. Il y a aussi le couple Fairman, issu de Virginie et nanti d'un beau petit garçon de cinq ans, Tod, dont ils espèrent, en l'emmenant avec eux sous le climat plus dur mais aussi plus sain de l'Oregon, raffermir la santé fragile, perpétuellement rongée par ces fièvres qui ont fini par avoir la peau de Mattie. Et puis les Byrds, un couple jeune et de parfaite famille, Yankee celle-là (c'est-à-dire venant probablement de la Nouvelle-Angleterre), traînant derrière eux une ribambelle de neuf enfants ; l'inénarrable Higgins, surnommé "Hig", espèce d'épouvantail à moineaux au visage aussi plissé que celui de Popeye le Marin, d'excellente composition et toujours prêt à réparer avec talent n'importe quoi et à donner un coup de main là où c'est nécessaire ; les Macks, Curtis et Amanda, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne mènent pas une vie amoureuse et sexuelle parfaite bien que, malgré ses errements provoqués par l'attitude de sa femme, Curtis ne soit pas le mauvais homme et voue à son épouse un amour authentique ; et puis toute la smalah des McBee, le père dont on aperçoit à peine le visage dissimulé sous une barbe crasseuse, la mère qui se lamente et vitupère sans cesse et qui, selon certains, dont Evans, pourtant charitable de nature, a tout de la grosse araignée venimeuse sauf, peut-être, l'intelligence, et leur flopée d'enfants éternellement mal peignés, mal lavés et mal tenus, dont on ne retiendra qu'un nom, celui de leur aînée, une fort jolie créature de quinze ans, Mercy, dont chacun se demande comment elle a pu naître de ces deux horreurs que sont ses parents.

Vient aussi la bande de célibataires habituels : Daugherty l'Irlandais, Patch, et pas mal d'autres, et, au milieu de tout cela, "pris en charge" sur le plan matériel par Dick Summers, lequel, rappelons-nous-le, est capable de trouver du gibier à peu près n'importe où, un pasteur méthodiste (je crois), le frère Weatherby. Au début, le lecteur considère ce brave homme avec une certaine méfiance. Mais, peu à peu, Weatherby se révèlera un compagnon sur lequel on peut compter, qui, jamais, ne rechigne à la besogne et se préoccupe avec sincérité des souffrances de l'Âme, fût-ce celle des Indiens rencontrés.

Au sujet des Indiens justement, seule une troupe de Sioux, partis on ne sait trop pourquoi sur le sentier de la guerre, sera la seule à nous inquiéter un tant soit peu, lorsqu'ils s'en prendront à un Brownie Evans volontairement resté en arrière du convoi afin de graver sur une certaine montagne son nom et celui de la jeune fille avec laquelle il souhaite former un couple aussi solide que celui de ses parents. Fort heureusement, cette Providence ambulante qu'est Summers arrivera à temps pour redresser la situation. A moins qu'ils ne soient sous l'empire de l'Eau de Feu, les Indiens, fussent-ils de la noble nation sioux, ne refusent jamais le dialogue. Et ce taiseux de Dick sait bien discourir avec eux. Surtout, il n'a rien perdu de son charisme qui en impose tant aux Blancs qu'aux Indiens.

Le chemin emprunté par le convoi couvre à peu près deux mille kilomètres. Si les routes sont d'accès facile, tant mieux. Sinon, il faut faire avec. Tant mieux aussi s'il y a de la nourriture pour les humains comme pour les boeufs et les chevaux, et tant mieux encore si la Soif ne rôde pas. Si, au contraire, la Famine et la Soif profilent à l'horizon leurs silhouettes étiques, on est trop heureux de se rabattre sur le poisson - quand il y en a - ou d'accélérer l'allure même s'il faut, pour traverser un désert qui brûle le jour, ne rouler que de nuit et y épuiser ses forces.

Et puis, il y a les impondérables : les accidents inattendus, les serpents à sonnettes, les chutes éventuelles sur des pentes traîtresses et, planant bien-haut au-dessus de tout cela, les rivalités entre les hommes. Tadlock, initialement nommé capitaine du convoi, finira par exemple, en raison d'un comportement trop autoritaire, par perdre ses responsabilités au bénéfice d'un Lije Evans plus humain et moins égoïste, bien plus préoccupé de surcroît du bien commun que son prédécesseur, lequel visait surtout à la protection de son troupeau, le plus important du convoi.

Non sans tristesse mais toujours avec cette philosophie dont l'a marqué à jamais sa jeunesse passée dans les Prairies, Summers voit combien le pays a changé. Et il devine combien il est appelé à changer encore et encore. Les souvenirs l'envahissent et la nostalgie de jours qui ne sont plus, parfois, le fait ruminer. Mais il sait bien que ces jours anciens ne reviendront plus et que ce serait d'ailleurs une folie de les faire revenir. le Temps doit s'écouler, autant pour les hommes que pour les terres. Seule justice parfaitement neutre, au même degré que la Mort, le Temps est un régulateur puissant qui fait et défait sans se lasser. Il n'est pas le Destin puisque lui aussi, dans son abstraction, subit son destin qui est de conduire les hommes, leurs civilisations et leurs pays vers le Pays du Grand Esprit, mais nul ne peut le faire plier. Et quiconque a la moindre graine de jugeote au fond de la cervelle sait bien que tenter de lui barrer la route serait folie ...

Si les descriptions de l'Ouest américain, alors en pleine conquête, sont toujours aussi magnifiques sous la plume de Guthrie, l'action est ici infiniment plus rythmée qu'elle ne l'était dans le premier volume. Tout le monde bouge, tout le monde agit, parfois à contre-temps, parfois aussi, hélas ! sous l'impulsion d'une méchanceté gratuite ou encore, tout simplement, d'un désir d'une nuit qui aura des conséquences inattendues sur l'avenir. le silence majestueux et presque pré-biblique qui enveloppait "La Captive aux Yeux Clairs" s'est transformé en un vacarme qui conserve cependant une cohérence certaine. Rien ne se perd, rien ne se crée : cette morale indiscutable, nous la voyons ici à l'oeuvre. Pour le meilleur comme pour le pire.

En résumé, une métamorphose absolue entre ces années 1840 qui s'achèvent et la décennie précédente où tout restait encore à expérimenter et où certains croyaient qu'il y aurait à jamais des castors à foison et des bisons qui chemineraient par milliers dans des plaines appelées à rester inconnues de l'Homme blanc. La civilisation est en marche, une civilisation que le développement exacerbé des technologies, en cette seconde moitié du XIXème siècle que nous abordons, va rendre plus brutale qu'elle n'eût dû l'être. Guthrie nous le laisse entendre mais qu'importe puisque, quoi qu'elle fasse, il se trouvera toujours des Dick Summers pour s'opposer à ses excès et que, tout là-haut, dans l'immensité tranquille de l'espace, les étoiles continuent à s'allumer les unes après les autres ...

Certaines de ces étoiles, dit-on, nous font encore signe alors que, depuis longtemps, elles ont explosé dans l'espace. Cela ne signifie-t-il pas, en définitive, que le Temps n'est qu'une boucle gigantesque et que la vie est éternelle ? ...

Ouvrage lucide, qui courbe parfois ses pages sous le poids des fatigues routinières et des malheurs inattendus, mais récit toujours poétique et qui engage le lecteur à ne jamais cesser d'aller de l'avant pour conquérir sa propre Destinée, et, par là-même, l'accomplir en sa plénitude absolue, "La Route de l'Ouest" prend fièrement sa place dans le convoi littéraire imaginé par l'auteur sous le titre générique de "The Big Sky" et nous incite à attendre, avec patience et curiosité, les autres volumes qui viendront le compléter. A lire absolument. ;o)
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