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Critique de DianaAuzou


L'invention du diable – Hubert Haddad*****
lecture en mars 2023

« Un jour le ciel était superbement ému » et salua bien bas la beauté inouïe d'une plume dont le soleil se vit jaloux et la lune dut avouer que la lumière volée dont elle se paraît trouva son « heure vacillante », et les longues heures de lecture franchirent les « limites instables où s'agitent les chimères », où l'illusion côtoie le rêve, s'empare de la réalité, du quand, pourquoi et comment et les met courtoisement à l'écoute de la musique des mots racontant une histoire hors du temps, de tous les temps, hors de l'espace en pérégrination libre, sans encombre au-delà des mers, époques, lieux.
Marc Papillon, sieur de Lasphrise « ou tout bonnement le capitaine Lasphrise » est « le dernier immortel », un pacte avec le Malin ? Il est poète, Papillon, célèbre inconnu il cherche la reconnaissance pour la postérité, sans quoi pas de repos éternel, mais une immortalité damnée.
Papillon immortel, damné de ne jamais se reposer, le repos éternel, tant que sa poésie n'aura trouvé la postérité ; p.169 « sa malédiction était d'avoir à perpétuer sans plus y croire la vaine illusion des poètes tandis que la Dame au Renom se riait de lui sous les apparences facétieuses d'Icélos ou de Morphée », sans trop y croire et pourtant il n'abandonne pas il s'y tient jusqu'à la fin.
La damnation, celle de l'enfer, le royaume du diable, celui dont certains ont peur car il surprend toujours. Et si la poésie était le diable c'est bien d'en être surpris sans fin et de l'aimer pour cela en premier, elle durera bien plus longtemps que nous les humains.
Marc Papillon un Don Quichotte de rêves et de mémoire et d'une certaine gloire plutôt secrète, un Cyrano de poésie et amour à jamais perdu, Papillon poète fantasque fait un pacte, avec le diable pour la reconnaissance de ses Diverses Poésies.
En permanence dans la surprise, la poésie n'a pas fini de nous surprendre, de nous émerveiller, l'histoire est fantastique et la langue qui l'habille aussi, d'une richesse infinie, une mantille précieuse digne des plus grandes dentellières ou des magiciens les plus étonnants.
Hubert Haddad travaille avec des « éléments en creux », selon ses propres mots, il sait où il va et tout en faisant voyager à travers les siècles son sieur Papillon, interroge le temps et l'histoire sans finalement arriver à une réponse. Papillon meurt plusieurs fois et renaît autant de fois, la mort n'est pas assez puissante pour l'annihiler, il se confronte à l'histoire c'est à dire à la sans fin, car l'histoire n'a pas de fin, il se surprend et nous surprend, belle métaphore de la poésie qui nous demande, à sa façon, de la revisiter, immortelle comme la littérature.
«prodigue compagne à tout instant volage, l'âme des poètes et des grandes amoureuses. On pouvait certes y croire entre deux perditions de diable logicien, à la condition… "que l'on n'ajoute pas foi à ce que dit la Raison, cette pauvrette, cette dégoûtée » »  p.170
Le roman de Hubert Haddad est comme un cadeau, une offrande de grande qualité littéraire, précieuse car très rare, un voyage sur les terres des mots qui font la littérature.
Imaginatif jusqu'à l'émerveillement, inventif jusqu'à l'époustouflante surprise, d'une richesse prodigieuses et d'une qualité musicale rare, le texte de L'invention du diable donne libre cours à la liberté de création, à repousser les contraintes logiques pour donner naissance à une oeuvre littéraire accueillant le fantastique, donc la vie, n'est-elle pas fantastique ?, pied de nez gracieux à la mort qui fait partie de la vie tout en lui reconnaissant sa qualité : elle nous fait découvrir le tragique sans désespoir et une liberté certaine, souvent mal interprétée, celle qui fait notre condition humaine en perpétuel mouvement et changement, en création et métamorphose constantes, en pouvoir d'adaptation, élancée vers aspirations de beauté inatteignable « le temps n'a de réalité qu'en son irrépressible franchissement, il est l'esprit du mouvement, la chute et l'élévation »p.154, et un bonheur défini par la bouche de la mourante Pulchelle : « Le bonheur est chez toi que toujours tu désires/Et le bonheur chez toi te désire toujours. »
« pourquoi la mort avait un goût de miel sauvage » ? p.154
Dans sa traversée des siècles, le capitaine Papillon, guerrier à la retraite, se confronte au temps, le grand inconnu, cet infini qui définit notre finitude, l'interroge et attend ses réponses qui arrivent en énigmes, expressions du vivant, fait des rencontres, apparaît et disparaît, perd son chemin pour s'y retrouver à nouveau. le temps est facétieux et la vie nous joue des tours, bons et mauvais, elle nous laisse comprendre quelque chose, très peu, mais « être au monde c'est fantastique en soi », nous dit Hubert Haddad, et je continue à le citer « tout ce qui fait l'humain, le langage lui-même est la conscience de la disparition qui nous porte à nommer l'absence en permanence – parce que l'absence est là, nous sommes faits d'absence, l'univers qui nous porte, on doit l'interroger sans fin pour pas oublier, pour garder mémoire ».
Marc Papillon se questionne et questionne le temps, l'humain et son passage entre deux points,  « aux limites instables où s'agitent les chimères »   p.71. « Il aimait plus que tout cette attente face au ciel, le vertige silencieux, l'éclat toujours neuf de l'éternité… Papillon eût désiré s'étonner encore des crédules mystères humains qui s'encombrent de fétiches et d'idoles, des plus incohérentes superstitions à petite ou grande échelle. » p.152
« la corne d'abondance du rêve fut et demeurait sa seule aubaine »p.75 même si « tout est submersion et noyade à l'estuaire où vont se mêler les rêves à la mémoire »p.101
« Mais où est-elle sa Nouvelle Inconnue ? », sa Dame au Renom, « Tout l'en approche et l'en éloigne avec la lune pour seule lanterne. »p.247
Enchanteresse magique surprenante métaphorique subtile et riche à l'infini, exigeante et travaillée, sorcière à mille facettes, sphinx à devinettes sans réponses, la plume de Hubert Haddad m'a émerveillée, délectée, accompagnée sur le chemin de l'histoire du début à la fin, j'oubliais de suivre les aventures séculaires de Papillon et m'accrochais extasiée à l'écriture, à l'imaginaire, à la beauté finement ciselée et à l'intelligence du texte.
«Les décennies se succèdent à la vitesse de l'oubli et s'effacent dans un clignotement d'étoiles. Veille, sommeil, mémoire se distinguent mal de l'immobile seconde »p.156, « les mots changent avec les moeurs et on délaisse au tombeau les passions d'autrefois » p.163, tout change tout est mouvement, métamorphose et transformation.
Une mort apporte une renaissance, un oubli une mémoire, un poète fait revivre son confrère, quand le monde que nous vivons n'est plus le sien et change si vite, un poète reste éternel et nous surprendra toujours « sa divine magie, ou la plus démoniaque... feront si bien corps avec l'ingrate réalité »p.222.
Inventé,
"Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir…"p.240
et me raconta une histoire imaginée de 1001 vérités.
« Tout est magie, ou rien » Novalis p.282
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