Citations sur L’invention du diable (12)
Délectable, sur la pierre de tuffeau des façades, du pigeonnier, d'une tourelle d'angle et des balustres entre jardins et terrasse, la lumière de juillet ruisselait, teintée d'un indécidable vermeil azuré au plus intime du faux relief des ombres et sur les délicats filigranes d'horizons des collines, par-delà le feuilletage ocré des prairies. Derrière les rideaux de peupliers géants qui balancent leurs nuques songeuses et les haies vives palpitant de mille essaims d'abeilles, s'étendaient les coteaux bouclés des vignes angevines et les forêts d'où jaillissent, comme la fumée d'une charbonnerie battue par le vent, d'immenses remuées d'étourneaux et de freux.
(incipit)
L'enfer sur terre se recommandait de Dieu ! Il se dit que même le diable n'avait de prise sur la férocité des hommes.
Ses yeux suivirent l'élévation d'une feuille de charme ou de hêtre très haut par-dessus les toits d'ardoise et les ramures. Est-elle déjà morte ou encore vive, la feuille qui se détache de l'arbre et vole au vent ? Mais à la perdre de vue on l'oublie aussitôt, visage au ciel, seul théâtre éternel que les mortels, le regard noyé dans les nuages, n'auront cessé de contempler depuis la Genèse et pour la fin des temps.
Tout le monde somnolait à cette heure, bêtes et gens, dans un chuchotis d'insectes et de fontaines. Seule alerte, une jeune paysanne assise à l'ombre de la tourelle d'angle de la gentilhommière veillait d'un œil sur le plus jeune rejeton des maîtres. Ce dernier, occupé à se distraire de l'indifférence générale, malmenait une tortue, cherchant à faire sortir la tête de lézard de cet étrange galet de cuir. A l'âge de quatre ans, on expérimente sans désemparer les hypothèses mystérieuses de tout ce qui, tour à tour, se dissimule et s'expose, de la présence et de la disparition, de la vie et de la mort.
Sans bagages, l'esprit libre, il aimait plus que tout voler des instants à la nuit, respirer longtemps les brumes piquantes de la mer, entendre mugir le vent quand la lune est au ciel.
Les rubans, les décorations ne coûtent à peu près rien et vous attachent obligeamment tout ce qui compte de positions et de fortunes dans ce pays. La légion d'honneur, par exemple, combien se déshonoreraient pour l'avoir. C'est avec des hochets que l'on mène les hommes...
Dans son état, une seule chose l'explique: rien de la réalité ne subsiste vraiment, le passé ne se détache plus clairement du présent et s'égare à la moindre distraction dans les culs de basse fosse de la mémoire. Il lui semblerait même, malgré son incurable insomnie, ses veilles d'étoile ou de volcan, qu'il n'ait pas entièrement perdu la faculté de rêver, d'ouvrir l'armoire des morts et d'errer d'un temps à l'autre comme un immortel ivre.
Comment se porte notre héros ce matin? dit-elle avec enjouement. Veut-il bien se coucher sur le ventre pour la petite piqûre? On va changer de fesse ce matin... Pris d'un spasme, Papillon ne fut pas long à inverser les rôles. Jupes relevées sur une double éminence laiteuse d'une belle consistance de flanc pâtissier, miss Comcedia, gémissante, grondait son paladin. Ce qu'il accomplissait-là n'était-il pas expressément contraire à la santé, justement définie par l'éco- logue René Dubos comme cet « état physique et mental, rela- tivement exempt de gênes et de souffrances et permettant à l'individu de fonctionner aussi longtemps que possible dans le milieu où le hasard ou le choix l'ont placé »? - Toutefois ne cessez pas de bouillonner d'ardeur! rugit miss Comcedia. Pas avant I'issue naturelle! Vous risqueriez un foyer d'ischémie dans la région cervicale.
Sa malédiction était sans promesse: rien ni personne ne pouvait arrêter sa chute dans le temps; il n'avait connu qu'amours faits d'adieux au retour des enfers. On ne regrette vraiment que ce qu'on a oublié. «Il est mort, le moineau de mon amie qu'elle aimait plus que ses yeux », lit-on toujours avec émotion, dans
Catulle….
Appelez-moi Papillon, Marc Papillon de Lasphrise, ou tout bonnement le capitaine Lasphrise. Je suis le dernier immortel. On m’a attribué bien des noms sans que je m’en formalise. Pour moi qui ne ressens plus rien de vraiment tangible sur cette terre, la misère ou l’opulence s’équivalent. Suis-je encore humain autrement que d’apparence ?