Ce ne fut pas doux.
Ce fut un lâcher prise.
Ce fut une manière de pleurer enfin tous nos morts et toutes nos pertes. De hurler contre l'horreur, contre tout ce qu'on nous prenait, contre cette guerre. De frapper de toutes nos forces, pour expulser les colères qui nous bousillaient.
Et s'aimer quand même.
S'aimer malgré tout.
S'aimer à s'en rendre complètement fous.
J'aurai pu le laisser s'en aller, accepter que ma rancoeur me bouffe encore plus. Il était facile d'imaginer que la prochaine fois, il resterait encore moins longtemps. Et moins longtemps encore la fois d'après. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des secondes de nous s'éparpillant dans le temps, juste avant de disparaître.
J'emportais avec moi un peu plus de tristesse, et un peu moins de rancoeur.
Un peu de cette douleur que seul un frère peut vous causer.
Juste... l'embrasser. J'y cherchais une forme de rédemption, ou la raison à toute cette folie. À toute cette démence qui m'avait poursuivi et qui prenait tout son sens aujourd'hui. Tous mes chemins, aussi tortueux avaient-ils pu être, m'avaient mené droit dans ses bras.
Je m'étais perdu pendant des années.
Je m'étais perdu à en hurler, dans l'espoir d'être entendu.
L'embrasser... Rien que ça... C'était une guerre aussi. Une révolution.
A la lumière d'un souvenir, hier ne meurt jamais.
Parfois les mots ne sont que des douleurs qui écorchent le cœur.
Ce que je ressentais pour lui, c'était une rébellion. Le soulèvement d'un sentiment qui n'aurait jamais dû exister.
Une indiscipline du coeur.
Rire et rire encore.
Comme on se souvenait du passé en fermant les yeux sur l'avenir.
Comme on aimait être ensemble sans jamais s'en repentir.
J'avais des frissons qui me remontaient le long de la colonne vertébrale. Comme un serpent sillonnant dans une prairie, en sifflant dangereusement. Me rappelant insidieusement que rien ne restait impuni.
Qu'est-ce qu'il m'a pris ?
Mais qu'est-ce qu'il m'a pris, bon sang ?
La violence des secrets, quand ils ne veulent plus se dissimuler.