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Critique de Nouch971


Le philosophe Coréen Byung-Chul Han, au parcours atypique passé par une formation de métallurgiste, nous offre une réflexion poétique sur le monde, au détour de celle que lui inspire l'émergente croissante de celui de l'intelligence artificielle.
Est annoncé l'avènement d'un monde marqué par la surabondance, peuplé d'objets de plus en plus nombreux et inertes à toute émotion qui donne du sens à la vie. « La masse d'informations qui recouvre la réalité… empêche les expériences de la présence ». Ce sont les « choses de la vie » qui donnent à la terre un appui et à qui il revient la tâche de « stabiliser la vie humaine ». Aujourd'hui, l'ordre numérique se substitue à la matérialité du monde vivant et sensible. Au lieu d'être informationnelle, la masse des signaux et des « non-choses » fait écran devant la réalité. Elle sape la strate des choses qu'elle recèle. le mots sont placés devant les choses comme le constatait déjà Hugo von Hofmannsthal dans sa célèbre Lettre de Lord Chandos. L'ordre digital est dominé par les informations tandis que l'ordre terrien est silencieux. Dans ce brouhaha permanent du sharing et du teasing consumériste, nous détruisons le paysage silencieux, la langue discrète des choses. Nous avons perdu, selon Nietzche, notre faculté de « distinction » qui « implique de ne pas réagir à toutes sollicitations » Cette impuissance est un signe de décadence et d'épuisement. le silence, au contraire, donne à l'esprit la faculté de s'attarder dans la contemplation, de se livrer à quelque chose avec une attention profonde. L'auteur cite à ce propos, le méconnu Nicolas Malebranche pour qui « l'attention est la prière naturelle de l'esprit » le vrai silence est sans contrainte. Il n'opprime pas, ni ne pille, il élève l'esprit vers un ordre supérieur. L'hypercommunication désacralise le monde, le rend profane et compulsif. Et Heidegger, de nouveau cité, nous livre cette inattendue et quasi biblique pensée : « Veille toute ton attention sur ton coeur ; car de là sort le principe de la vie »
Grand lecteur de Heidegger, Byung-Chul Han considère que ce changement profond affecte notre manière d'appréhender le monde. Il changerait même le concept de « Dasein » : « Nous nous trouvons aujourd'hui au seuil de l'ère des choses et de l'ère des non-choses… Nous n'habitons plus le ciel et la terre, nous habitons Google Earth et le Cloud ». le mode de l'intelligence artificielle est un monde binaire fait de 1 et de 0. Puissance inégalée pour aborder des équations complexes mais trop rudimentaire pour saisir la subtilité d'une représentation du vivant qui est le propre de ce qu'est la conscience humaine. L'intelligence artificielle apprend en ingurgitant les données du passé. Elle est aveugle à l'évènement. Elle calcule mais ne conceptualise pas à partir d'un champs d'expériences d'où elle construit une globalité de « l'être au monde », ni ne produit volontairement des hypothèses absurdes ; car selon Deleuze, penser, découvrir, philosopher « C'est dire non, c'est faire l'idiot. C'est prendre congés de tout ce qui précède. Hélas, l'intelligence artificielle est trop intelligente pour faire l'idiot »
Bien que s'attardant dans le souvenir très personnel d'une rencontre avec un jukebox qui agit sur lui « comme un véritable vis-à-vis, corps opposé », Byung Chul Han revendique une révision radicale de notre « rapport à la terre », car explique-t-il, « l'écologie doit être précédée d'une nouvelle ontologie de la matière ». Si l'ordre numérique du monde a sans aucun doute un effet émancipateur qui nous libère du fardeau du travail, il met aussi un terme à l'époque de la vérité et introduit la société post-factuelle de l'information. Dans l'univers de Metaserve, les informations et les personnages évoluent dans un espace virtuel sans aucun lien avec la réalité. Il porte en germe le risque de faire de la civilisation du monde une intellectualisation croissante de la réalité.
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