Mon père a les mains de quelqu'un qui aurait travaillé de ses mains il y a très longtemps , du temps où le travail se faisait à la main , où même ceux qui ne travaillaient pas savaient caresser les ouvrages des autres et s'y charger des choses bien faites .
Les mains de mon père n'ont jamais su désapprendre ces gestes , elles gardent en creux la forme de ce qu'elles ont sculpté , agencé , construit ,créé , et si précisément quelles le feraient encore ....
Des mains de St joseph pour bénir des chefs-d’œuvre.
Mon père se caresse les mains l'une à peine posée sur l'autre, suspendue .
Glissent lentement les petits coussins roses des doigts de l'une sur le dos de l'autre, comme si l'imperceptible frôlement commandait la nostalgie.p 14
Je ne sais pas si l'on peut regarder un homme de soixante sept ans comme un enfant , même si c'est le sien .
Le père et moi, nous ne nous touchions pas .
Jamais.
Nous nous serrions la main , parfois , comme des ouvriers . Des mots qui auraient gâché son départ .
je ne l'ai jamais revu. P32
j'aurais pu rattraper le père avant qu'il enfourche son vélo et tourne le coin de la rue, je mâchais dans ma bouche sèche tous les mots que je lui aurais dits ,
des mots qui ne consolent personne , des mots qu'il connaissait déjà , des mots qui ne disent rien , des mots qui l'auraient agacé , qu'il m' aurait pardonnés , des mots qui ne valent que par les baisers ou les bourrades qui les accompagnent .