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Critique de Melpomene125


Je n'ai pas eu l'occasion de voir le film de Thomas Vinterberg mais il m'a fait découvrir le roman de Thomas Hardy qui est aussi l'auteur de Tess d'Urberville et de Jude l'Obscur. Écrivain britannique de la fin du XIXe siècle, il fut souvent proposé pour avoir le Nobel de littérature mais ne l'eut jamais car son oeuvre était jugée trop pessimiste.

Divers résumés du film m'avaient laissée penser que le personnage féminin Bathsheba était mis en valeur comme une femme courageuse et indépendante, qui refuse de se marier car elle veut diriger seule sa propre vie et sa ferme sans dépendre de personne.

Aussi ai-je été un peu déçue lors de ma lecture car, pour moi, c'est davantage Gabriel Oak, le jeune fermier qui tombe amoureux de Bathsheba, qui est la figure marquante de ce roman.

Thomas Hardy porte sur Bathsheba un regard satirique qui la fait passer pour une jeune fille inconséquente, qui ne réfléchit pas avant d'agir, qui manque de discernement et provoque ainsi des catastrophes. Quant à Gabriel, il apparaît comme un homme honnête qui doit faire face à la cruauté du destin et ne sait pas comment attirer l'attention de la femme qu'il aime. Il le prend avec philosophie et abnégation. Il se dévoue pour Bathsheba qui est hautaine et froide voire cruelle envers lui. Elle n'a d'yeux que pour le bellâtre Francis Troy qui est doué pour dissimuler ses défauts, à la différence de Gabriel, « dont les défauts sautaient aux yeux, et les vertus étaient enfouies comme le métal dans une mine. »

Cette attitude de Bathsheba m'a souvent agacée. Je n'ai pas aimé ce personnage qui joue avec ses prétendants comme une jeune fille écervelée. En revanche, j'ai fini par m'habituer au style sarcastique de l'auteur, à ses jugements qui donnent du mordant à l'écriture et ne sont pas que misogynes mais plus largement misanthropes. Il effectue une analyse sans concession de la nature humaine, des ravages de la passion qui peut rendre fou comme c'est le cas pour le fermier William Boldwood. Lui qui était le seul à ne pas être fasciné par la jolie fermière s'enflamme soudain pour elle quand, pour plaisanter, elle lui envoie un valentin avec écrit dessus : « épouse-moi ». Pourquoi agit-elle ainsi ? Pour s'amuser, parce qu'il est le seul homme qui ne la regarde pas. Elle n'a que vingt ans et considère l'amour comme un jeu. Ce valentin n'était à l'origine pas destiné à Boldwood. "Jouons-le à pile ou face, comme les hommes", dit étourdiment Bathsheba.

L'humour permet de mettre à distance le pessimisme de l'auteur, ses réflexions sur la cruauté du destin et l'absurdité du sentiment amoureux. Pourquoi Bathsheba n'aime-t-elle pas Gabriel Oak alors qu'il a toutes les qualités pour cela mais ne sait pas les montrer ? Il n'appartient pas non plus au bon milieu social depuis qu'il a perdu sa ferme à cause d'un chien mal dressé. La tante de Bathsheba le snobe dès le début lorsqu'il vient faire sa demande en mariage. Sa nièce ne va tout de même pas épouser un banal fermier ! Elle « aurait pu devenir institutrice si elle n'était pas si étourdie ». Quant à Bathsheba, elle lui court après sans réfléchir mais c'est pour lui dire avec un air hautain : « J'ai reçu plus d'éducation que vous et je ne vous aime pas. »

J'ai éprouvé de la compassion pour Gabriel lorsqu'il perd « tout le fruit d'un travail acharné, les économies d'une vie frugale » et l'espérance de devenir un fermier indépendant. Par le même coup du sort, Bathsheba devient l'héritière de la propriété de son oncle et la patronne de Gabriel qui sauve sa ferme d'un incendie et cherche désormais un emploi. J'ai eu plus de mal avec la vaniteuse Bathsheba, même si son jeune âge suscite l'indulgence. Les rudes épreuves qu'elle traverse à cause de ses mauvais choix, avec notamment le bellâtre Troy, l'humanisent.

Mon avis sur ce roman est donc assez mitigé. Il est très bien écrit et j'ai aimé l'analyse sans concession qu'effectue Thomas Hardy des sentiments humains qui sont complexes et ambivalents. Bathsheba veut être indépendante et gérer seule sa ferme mais elle tombe dans les filets de Troy qui la rend malheureuse. Pourquoi place-t-elle si mal son désir ? Grande question sans réponse car l'amour n'est pas logique et rationnel et ce roman n'est pas qu'une bluette mais une fine étude des rapports humains et amoureux. Certaines phrases retranscrivent la mentalité de l'époque mais elles peuvent être énervantes à lire tant elles apparaissent comme des jugements catégoriques de l'auteur. « En règle générale, la seule supériorité tolérable chez une femme est celle qui s'ignore ; néanmoins une supériorité consciente d'elle-même peut quelquefois plaire à l'homme en lui suggérant la possibilité de se l'approprier. »

Thomas Hardy, par ses petites phrases, ne contribue pas à rendre Bathsheba sympathique. Sa manière d'écrire donne l'impression que le fonctionnement des êtres humains est une énigme, tant il est soumis à des pulsions irrationnelles qu'il faut prendre avec philosophie et humour. « J'ai tellement pensé à vous depuis le jour où j'ai cru que vous ne vouliez plus me voir ! » dit Batsheba à Gabriel.

Cette petite phrase m'a fait sourire avec finesse et subtilité. C'est tout l'art de la satire. La fin n'est pas qu'un banal happy-end dont on se demande s'il arrivera un jour et par quel miracle cela pourrait-il se produire. Dans les romans classiques, les premières et dernières phrases sont très soignées et Loin de la foule déchaînée ne déroge pas à la règle. C'est un des employés de Bathsheba qui conclut, donnant une tonalité grisâtre et en demi-teinte à l'ensemble : « Enfin, c'est comme ça et ç'aurait pu être pire ; moi, je suis heureux de ce qui vient d'arriver. »
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