Citations sur Whyborne & Griffon, tome 1 : Contresens (10)
J'avais consacré ma vie au langage. Mais parfois, les mots ne sont pas nécessaires.
(-Whyborne)
J'étais exactement ce que mon apparence indiquait : maladroit, inepte, et ennuyeux.
(-Whyborne)
Je ne pouvais pas succomber.
J’avais aimé Leander et il en était mort. Au cours des années, j’avais repéré d’autres hommes, Philip Rice, par exemple, mais sans jamais me laisser submerger par mon désir pour eux. Cela ne pouvait changer maintenant, surtout pas pour un arrogant ex-Pinkerton comme Griffon Flaherty.
S’il était au courant de mes rêves, il me mépriserait. Au pire, il me dénoncerait publiquement comme un criminel. Au mieux, il me regarderait du haut de sa pitié condescendante, comme l’impuissante victime d’une aberration mentale.
Si seulement j’étais né au temps d’Héraclès et d’Iolas, ou d’Achille et de Patrocle, ou d’Alexandre le Grand et d’Héphaestion. Au lieu de cela, je subissais la malédiction d’être un étranger dans mon propre pays, éternellement privé de sympathie et d’affection.
La chose avait quatre membres, en quelque sorte, et une forme vaguement humanoïde, mais perverse. Car son corps nu était horriblement difforme, les membres de longueur inégale, les articulations déformées. Une peau, épaisse et squameuse, recouvrait en partie cette affreuse silhouette, avec des protubérances et des écailles. D’un coude saillait ce qui ressemblait à d’affreuses dents humaines.
La tête était pire, cependant. À cause de Christine, j’avais passé de nombreuses heures courbé sur l’art de l’Égypte ancienne et ses dieux à têtes d’animaux. Ces dieux-là avaient une noblesse étrange et une complétude. Cette chose semblait une caricature de ces antiques divinités.
J'avais rendez-vous avec un mort. Et j'étais en retard.
Une phrase de Blackbyrne ne cessait de me harceler l'esprit. En fait, c'était le cas de toutes ses paroles, chacune étant comme un petit ver qui creusait son chemin à travers mon cerveau. J'avais parlé à un défunt, à un homme décédé depuis près de deux siècles, dont le corps s'était décomposé, devenant poussière. Et pourtant, aujourd'hui, il marchait et conversait, comme s'il venait de s'éveiller d'une simple sieste.
Jusqu'à ce moment précis, je n'avais pas vraiment compris la puissance potentielle de l'Arcanorum. Si un tel acte contre nature était possible... quelles étaient les limites ? Existaient-elles vraiment ?
Une silhouette venait de s’y arrêter. S’agissait-il d’un homme ou d’une femme ? Il m’était impossible de le dire. Je ne voyais qu’une forme voutée enveloppée dans une cape noire, avec une longue écharpe et un chapeau à large bord qui dissimulait ses traits. La tête de la créature se leva légèrement, j’eus l’horrible impression qu’elle reniflait dans notre direction, comme un énorme limier sur la piste de sa proie. L’odeur repoussante que j’avais repérée la nuit dernière, en me penchant à ma fenêtre, revint agresser mes sens.
Je soulevai la tête, effaçant la dernière et minime distance existant entre nous, pour presser mes lèvres sur les siennes. C’était un baiser maladroit, désespéré et frénétique, mais la sensation de sa bouche contre la mienne envoya une violente décharge au bas de ma colonne vertébrale. Juste un instant, juste un baiser, ce serait sûrement suffisant…
Mais déjà, il me rendait mon baiser et ce ne serait plus jamais assez. Même un millier d’années ne me suffirait pas. Sa bouche était avide et insistante, sa langue sonda mes lèvres, demandant plus d’intimité. Quand je lui accordai le passage, sa langue me découvrit en profondeur, la mienne fit de même quand il se retira, je le goûtai de toute mon âme.
La façon dont sa proximité accélérait les battements de mon cœur et éparpillait mes pensées était…
… dangereuse. J’avais passé de nombreuses années à me contrôler, sans jamais céder, et pourtant, depuis qu’il était entré dans ma vie, je n’avais plus la volonté de résister au désir qui m’enflammait la peau et me durcissait le bas-ventre. Le rempart que j’avais bâti autour de moi était tombé, je n’étais pas trop sûr de vouloir le rebâtir.
À l’extrémité nord du large cercle, il y avait un grand autel de pierre, à la surface noircie par ce qui ne pouvait être que du sang. De monstrueuses représentations de Gardiens étaient sculptées de chaque côté. Sur l’autel, à chaque extrémité, étaient dressées des bougies de suif. D’après ce que j’avais lu dans l’Arcanorum, je craignais fort qu’elles soient constituées de graisse humaine. Au centre de la dalle reposaient un bol de cuivre marqué de symboles blasphématoires et une urne.
Mon cœur en reçut un choc désagréable. Je n’eus pas à me demander ce que contenait cette urne funéraire – ou plutôt qui était dedans.