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Critique de Antyryia



Amateurs du Moyen-âge et de la guerre de cent ans, passez votre chemin.
Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, dans ces pages rien ne touche de près ou de loin à Jeanne d'Arc.
Littéralement, celui de la version anglaise aurait pu se traduire par "Un feu qui s'embrase lentement".

Après l'eau ( Au fond de l'eau ), Paula Hawkins s'intéresse donc à l'élément du feu, mais pas au sens propre puisqu'il est ici question de colère, de lutte pour obtenir réparation, de vies gâchées qui crient vengeance.
Le feu qui brûle - ou qui pèse - sur les épaules des principales protagonistes est celui d'un volcan qui après des années de silence et de douleur est entré en éruption.

Alors oui, j'ai lu et apprécié La fille du train, sans pour autant comprendre son succès interplanétaire. Il s'agissait d'un bon thriller psychologique, mais il y en a eu tellement d'autres qui sont restés dans l'ombre alors qu'ils étaient bien meilleurs !

Mais Celle qui brûle me marquera bien davantage. L'écriture est maîtrisée, la narration complexe et pourtant parfaitement compréhensible, les personnages terriblement vrais dans toute leur souffrance.

L'histoire nous parle majoritairement de la famille Myerson, réduite à peau de chagrin.
"Il y a déjà eu trop de gens détruits dans cette famille."
"Le poison. Il vient de moi. de ma famille."
Carla et son ex - mari Théo, écrivain, tentent encore de faire face au drame survenu quinze ans plus tôt qui les a séparé malgré leurs sentiments.
Angela, la soeur de Carla, a été une femme rongée par la culpabilité, rongée par l'alcool, et aujourd'hui rongée par les flammes durant son incinération. Jamais elle n'a pu se pardonner ... et jamais elle ne l'a été.
Enfin Daniel, le fils d'Angela, vingt-trois ans. de retour à Londres. Mauvais garçon. Retrouvé mort égorgé sur son insalubre péniche.

La résolution de son meurtre fera office de toile de fond à tout l'aspect policier du roman. Mais elle sera également un fil conducteur reliant les Myerson à d'autres personnages tout aussi abîmés. Tout aussi suspects. Des femmes au destin tragique et étrangement attachantes par leur fragilité, leur vulnérabilité.

C'est le cas de Miriam, surnommée la Hobbit. Grosse, moche et poilue. Célibataire et sans enfants. Elle habite à proximité de la péniche de Daniel et c'est elle qui découvrira le corps de la victime et préviendra les autorités. Son mal être est profond, le mot "victime" pourrait presque être tatoué sur son front. Bien plus jeune, elle a été enlevée par un tueur en série et elle n'en n'a réchappé que de justesse. Et aujourd'hui, c'est un homme qu'elle admirait et en qui elle avait toute confiance qui l'a trahi.

Un petit mot sur Irène également, voisine et amie d'Angela, avec laquelle elle partageait le goût des romans policiers. En dépit de ses huit décennies, vieillir lui fait peur et plus encore le fait d'être perçue comme telle, un poids pour la société, quelqu'un qui ne comprend rien à rien. Elle souffre de ces préjugés, de ses propres limites. Et à bien des occasions cette charmante dame âgée surprendra le lecteur justement par sa largesse d'esprit ... et ses talents de détective. Bien avant que l'auteure ne fasse la comparaison elle même en fin d'ouvrage, Irène me faisait déjà penser à une Miss Marple des temps modernes.

Mais la palme du personnage qui m'a le plus bouleversé revient à Laura Kilbride, directement impliquée puisqu'elle a couché avec la victime la nuit du meurtre.
Elle est totalement folle, son comportement est incompréhensible, elle pique des crises de colère ou rit aux larmes lors de ses interrogatoires aux moments les plus inopportuns.
Elle a été broyée, au sens propre comme au figuré. Une voiture l'a laissée pour morte quand elle avait dix ans après l'avoir percutée de plein fouet.
Coma, hôpital, chirurgie, rééducation mais lourdes séquelles tant d'ordre physique que psychologique. Ses liens avec ses parents qu'elle aime tant se sont délités. Seule Irène l'empêche de faire naufrage.
"Tu sais ce que c'est ton problème, Laura ! C'est que tu prends de mauvaises décisions."
Et elle admet elle-même être sujette aux troubles de la mémoire, à la dépression, à l'agressivité verbale. Des troubles maladifs sur lesquels elle n'a aucune maîtrise.
Elle a tout de la suspecte idéale.
Et elle a tout de la victime qui en a déjà bien assez bavé comme ça dans la vie. Qu'on a envie de choyer, de protéger, de défendre, parce qu'elle n'a pas les armes pour le faire.
Malgré les drames terribles qu'ont vécu Carla et Miriam, elles ont toujours conscience de leurs actes. Bien sûr le lecteur les plaint également, il est à la fois bouleversé et terrorisé par le cauchemar qu'elles ont vécu, mais personnellement, c'est pour Laura que j'ai ressenti le plus d'empathie, pris de regrets à chaque fois qu'elle agissait à contre-courant de ce qu'on attendait d'elle.


Un meurtre.
Deux intrigues entremêlées.
Trois femmes qui sont amenées à se croiser quand elles ne se connaissent pas déjà.
Des personnages sur lesquels la vie s'est souvent acharnée et qui n'ont fait que tomber de Charybde en Scylla.
Un peu de pathos mais totalement mis au service du suspense.

Celle qui brûle est bien un thriller psychologique mais qui ne fait pas que reproduire un schéma déjà archi rebattu.
Ses qualités ne se limitent pas à l'originalité de ses protagonistes abîmés, mais surtout à la façon dont on les découvre de plus en plus en profondeur.
Et c'est grâce à une façon de raconter millimétrée, quasi chirurgicale, que tous prennent vie sous nos yeux. Qu'on comprend mieux leurs histoires, leurs liens, leurs interactions.
L'étendue de leur souffrance.
Leurs désillusions.
Leurs colères si ardentes qu'elles pourraient provoquer des envies de meurtre.

"Pourquoi personne ne semblait plus en mesure de raconter clairement une histoire, du début à la fin ?"
C'est Carla qui prononce cette phrase, agacée par les sauts dans le temps surexploités dans les romans d'aujourd'hui. Mais c'est aussi je pense un clin d'oeil de Paula Hawkins à son propre roman qui n'a de cesse d'alterner présent et passé. Avec une place prépondérante d'ailleurs pour ce qui s'est déroulé avant le meurtre.
Des années en arrière, quelques jours plus tôt, peu importe : Elle maîtrise totalement la façon de faire glisser sa narration dans les souvenirs, et aime particulièrement s'interrompre après une révélation inattendue.
Quel est le lien avec le meurtre de Daniel ? Y en a-t-il seulement un ? En tout cas chaque nouvel élément fait apparaître de nouveaux points de vue, change en partie notre perspective, nos hypothèses.
Et même dans le cas contraire, le plaisir ici consiste tellement à relier les personnages entre eux et à comprendre leur traversée de l'enfer que l'assassinat passe facilement à l'arrière plan.

Et c'est tant mieux parce qu'il n'y a aucune surprise à attendre de ce côté. Enfin, on est dans du classique qui ne se démarque pas vraiment des autres romans du genre.
Mais au risque de me répéter toute la valeur, toute la richesse de Celle qui brûle s'inscrit tant dans la découverte et la description progressive de ces êtres blessés et souvent profondément attachants qui vivent dans le même quartier londonien. Ainsi que dans la structure ciselée d'apparence complexe, où les points de vue se succèdent, où alternent présent et passé, où un livre de semi fiction vient également parsemer ses extraits sans ordre ni logique apparente.
Le tout se lit pourtant avec une rare sensation de confort, et une impression d'inédit qui fait vraiment du bien dans un genre qui a besoin de se renouveler.

Le succès de la fille du train reste pour moi un sujet discutable. Cette fois Paula Hawkins prouve qu'elle fait bien partie des auteures de thrillers psychologiques les plus talentueuses.

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