Au camp Currie, j’ai fait une découverte très importante. Le bonheur, c’est de dormir suffisamment. Rien que cela. Tous les gens riches et malheureux que vous rencontrez prennent des somnifères. Les fantassins n’en ont pas besoin. Vous donnez un bout de matelas et un bout de temps à n’importe quel soldat et vous le rendez heureux comme un ver dans une pomme. Il dort.
Ah, oui... les « droits inaliénables ». Tous les ans, il se trouve quelqu’un pour citer cette merveilleuse poésie. La vie ? Mais quel droit à la vie a donc un homme qui se noie dans le Pacifique ? L’océan ne réagira pas à ses appels. Quel droit à la vie a un homme qui doit mourir pour sauver ses enfants ? S’il décide de sauver sa propre vie, le fait-il par l’effet de quelque droit ? Si deux hommes sont menacés de mourir de faim et que le cannibalisme soit la seule issue pour l’un d’eux, lequel a plus que l’autre le droit inaliénable de vivre ? Est-ce juste ? Il en est de même pour la liberté. Les héros qui ont signé ce grand document déclarent acheter cette liberté au prix de leurs vies. La liberté n’est jamais inaliénable. On doit la payer régulièrement, par le sang des patriotes, autrement elle disparaît. De tous les « droits humains naturels » que l’homme a inventés, la liberté est encore celui qui n’est jamais gratuit.
Dans un vaisseau mixte, le dernier son qu’un soldat entend avant de toucher le sol (et souvent avant de mourir) est une voix de femme, qui lui souhaite bonne chance. Si vous estimez que ça n’est pas important, c’est probablement parce que vous avez démissionné de la race humaine.
Toute morale est issue de l’instinct de survie. L’attitude morale est une attitude de survie qui transcende le niveau de l’individu.
L’univers est ce qu’il est et non ce que nous voulons qu’il soit.
L’ensemble des systèmes va de la monarchie absolue à l’anarchie totale. L’humanité en a essayé des milliers et s’en est vu proposer des milliers d’autres, certains aussi étranges que ce communisme de fourmilière que Platon appela à tort La République. Mais les motivations n’ont jamais cessé d’être d’ordre moral : trouver un gouvernement à la fois stable et bénéfique.
» Tous les systèmes ont cherché à parvenir à ce résultat en limitant la franchise, le droit de vote, aux hommes qui étaient supposés suffisamment sages pour exercer judicieusement ce droit. Je dis bien : tous les systèmes. Les démocraties les plus libérales ont toujours interdit ce droit à plus d’un quart de leur population en jouant sur l’âge, la naissance, les impôts, les délits... etc. (Le major sourit cyniquement.) Je dois avouer que je n’ai pas encore perçu de différence entre le vote d’un crétin de trente et un ans et celui d’un génie de quinze ans... Mais là je fais allusion à l’ère du « droit divin du citoyen ordinaire »... De toute façon, ces gens ont payé chèrement leurs erreurs.
» La franchise a été accordée selon des règles multiples et variées : par la naissance, par l’hérédité, la race, le sexe, la propriété, l’éducation, la concession... Tous les systèmes ont été expérimentés, tous ont fonctionné, mais aucun de manière satisfaisante. Ils s’effondrèrent par leurs propres fautes ou furent renversés parce que jugés tyranniques.
Monsieur Salomon, ma question était piégée. La seule raison que nous ayons de continuer à vivre selon le système actuel est une raison pratique qui est à la base de bien des systèmes : ça marche.
Et puis, on ne m’empêchera pas de penser que ceux qui discutent après coup n’ont même pas la moitié des cartes du jeu en main.
L’attaque contre Buenos Aires réveilla donc tous les civils qui demandèrent à grands cris le repli de toutes les forces disponibles, la mise en place d’un véritable bouclier spatial autour de l’espace terrien. Ce qui était idiot. On ne gagne pas une guerre en jouant la défense mais bel et bien en attaquant. Regardez l’Histoire : les « Départements de la Défense » n’ont jamais fait la décision. Mais c’est une réaction courante chez les civils lorsqu’ils prennent conscience de la guerre : exiger une tactique défensive. Ils se comportent comme le passager d’un astronef qui essaierait d’arracher les commandes au pilote au moment où retentit la sonnerie d’alarme.
Je n’éprouvais aucune sympathie pour lui. Je ne crois pas à la vieille rengaine qui dit que « comprendre c’est pardonner ». Parfois, plus vous comprenez certaines choses, plus elles vous dégoûtent. Ma sympathie, je la réserve à une certaine Barbara Anne Enthwaite que je n’ai jamais vue, et à ses parents, qui ne la reverront jamais plus.