Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2018, écrits par
Joe Henderson, dessinés et encrés par
Lee Garbett, et mis en couleurs par Antonio Fabela.
Il y a 20 ans à Chicago, Nathan Fowler fait un bisou à sa fille Willa qu'il vient de coucher dans son lit à barreau pour sa sieste. Il descend de l'étage pour indiquer à sa femme Lilly que leur fille est couchée. Lilly est en tenue de joggeuse, prête à aller courir. Nathan s'assoit à la table de la cuisine pour prendre un café et un bol de céréales. En posant le paquet de céréales sur la table, il renverse son mug qui se met à flotter, et le café commence à flotter doucement au-dessus de la tasse, en bulles difformes de liquide. Nathan Fowler joue avec une bulle ainsi formée, tout en se disant qu'il avait raison même si personne ne voulait le croire. Il se rappelle soudain que sa femme vient de sortir et il se précipite, tant bien que mal, vers la porte et découvre que les personnes, les voitures, les camions s'envolent. Il voit sa femme au loin accrochée à un lampadaire. Elle s'élance pour rejoindre son mari, mais elle n'arrive pas à atteindre sa main et est emportée vers le ciel.
Au temps présent du récit, Willa Fowler exerce le métier de coursier, se déplaçant dans le ciel, de gratte-ciel en gratte-ciel pour effectuer ses livraisons. Elle se déplace en portant un extincteur sur le dos. Au siège dépôt de la société
Rocket Messenger, elle va papoter avec Edison, jeune homme de son âge, appréciant d'avoir grandi dans son monde à faible gravité car ses jambes s'arrêtent au niveau du genou. Elle va ensuite voir Shirley (une obèse) pour prendre en charge le colis de forme cubique (environ 1m3) qu'elle doit livrer. Sur le chemin, en sautant de façade de gratte-ciel en façade de gratte-ciel, elle est coincée par 2 voyous qui souhaitent s'approprier son chargement. Elle leur répond sèchement, pas si inquiète que ça, tout en dégainant une arme à feu. Elle n'hésite pas à s'en servir. Un peu plus tard, de retour chez elle, son père lui apprend qu'il sait comment faire pour que le monde retrouve une gravité normale, mais il est incapable de mettre son projet à exécution car une angoisse irrépressible le saisit à l'idée de sortir affronter l'extérieur et sa faible gravité. Willa Fowler prend la décision d'aller trouver Roger Barrow, riche homme d'affaires et ancien associé de son père.
Dans la deuxième moitié des années 2010, l'éditeur Image Comics publie plusieurs nouvelles séries de genres variés, tous les mois avec une régularité impressionnante. le lecteur n'a que l'embarras du choix et ne peut pas toutes les lire. Si la curiosité le prend de regarder Skyward pour se faire une idée, un simple feuilletage lui fait comprendre que le récit se déroule sur Terre avec une gravité réduite, et il voit une jeune femme sympathique se lançant à l'aventure.
Lee Garbett a commencé sa carrière de dessinateur au milieu des années 2000, travaillant pour DC Comics avec
Grant Morrison sur Batman, également avec
Al Ewing pour la série Loki. Comme la majeure partie des dessinateurs de comics, il réalise des cases dans un registre descriptif et réaliste. le lecteur éprouve tout de suite une forte sympathie pour les principaux personnages, à commencer par Willa Fowler. Lorsqu'il la découvre pour la première fois, il s'agit d'un nourrisson, puis une jeune femme de 20 ans, au sourire irrésistible. Elle est sportive et souriante. Elle dispose d'une chevelure épaisse flottant librement du fait de la faible gravité, d'un corps svelte qui n'est jamais présenté comme un objet pour titiller le lecteur mâle. Elle évolue avec grâce dans l'air, d'immeuble en immeuble. Son visage peut également exprimer d'autres émotions ; elle sourit très régulièrement, sans que cela ne soit béatement, et encore moins bêtement, de la première à la dernière page. le lecteur observe que d'autres personnages sourient également, le plus souvent par gentillesse. Il n'y a que le sourire de Roger Barrow qui présente un visage inquiétant.
Lee Garbett sait donner vie avec la même sensibilité aux autres personnages. Edison apparaît un peu moins ouvert dans ses relations interpersonnelles, un peu plus précautionneux. En le regardant, le lecteur se dit que l'absence de la partie inférieure de ses jambes lui a appris à se protéger et à observer un peu avant d'accorder sa confiance. Shirley se comporte de manière plus posée, même si la faible gravité lui permet de se déplacer plus facilement, malgré son obésité. Nathan a des gestes plus mesurés d'adulte. le lecteur peut le voir se recroqueviller sur lui-même à l'idée de devoir sortir à l'extérieur, attestant de sa phobie, de l'angoisse qu'elle provoque. le langage corporel de Roger Barrow est lui aussi plus mesuré, au départ indéchiffrable, les dessins montrant bien qu'il s'agit d'une attitude de façade. La mise en image de la suite est également en phase avec ce que le scénario réserve comme surprise le concernant. Les dessins montrent au lecteur qu'il s'agit d'un récit d'anticipation se déroulant peu de temps dans le futur. En effet les gratte-ciels sont semblables en tout point à ceux du temps présent, les appartements et le mobilier et les tenues vestimentaires ne différent pas beaucoup de celles d'aujourd'hui. Garbett joue sur les variations d'épaisseur des traits de contour pour donner plus de relief aux éléments détourés et aux personnages. En fonction des séquences, il détaille plus ou moins les lieux correspondants. L'appartement des Fowler est aménagé de manière simple et fonctionnelle, avec plusieurs bibliothèques. le lecteur bénéficie d'une vue du ciel du pâté de maison des Fowler lors de la chute d'intensité de la gravité le jour
G. L artiste prend soin de représenter différentes façades pour les gratte-ciels, sans aller jusqu'à reproduire des styles architecturaux précis. L'aménagement de l'entrepôt de
Rocket Messenger est très sommaire, ainsi que celui de la propriété de Roger Barrow.
D'un autre côté, il est visible que
Lee Garbett prend grand plaisir à montrer les conséquences de la diminution de l'intensité de la gravité. Cela commence par la chevelure de Willa Fowler flottant toujours au vent au gré de ses mouvements. Il sait aussi tirer parti de la dimension spectaculaire de ce phénomène. Cela commence par le dessin en double page montrant les conséquences de la faible gravité le jour J, et ça continue par le dessin en double page montrant Willa Fowler évoluant avec aisance entre les immeubles. Parmi ces moments visuels remarquables, le lecteur se souvient également de l'appartement des Fowler mis sens dessus dessous par des intrus, et de l'aventure périlleuse d'affronter la pluie à l'air libre. Il est donc visible que
Joe Henderson a conçu son scénario et la narration correspondante en pensant à l'aspect visuel. La majeure partie des conséquences de la faible gravité sont montrées plutôt qu'expliquées. Il appartient donc au lecteur d'assembler ces diverses manifestations pour se faire une idée de la nature du phénomène. le résultat est un peu déconcertant et troublant. Les personnages parlent bien d'une gravité plus faible, induisant une représentation chez le lecteur évoquant la gravité plus faible de la Lune. Mais les dessins montrent des phénomènes plus radicaux. Dans le premier dessin en double page, c'est un camion-citerne qui s'envole vers le ciel, c'est-à-dire un poids-lourd de plusieurs tonnes sur lequel l'attraction n'agit plus suffisamment. Or par la suite, au pire, les personnages donnent l'impression de flotter en apesanteur, mais pas d'être attiré vers le ciel, vers le vide de l'espace.
Du coup, le lecteur continue de s'interroger les contours du phénomène, sur son intensité, sur ses conséquences dans la vie de tous les jours. Il est bien évoqué l'existence de chaussures magnétiques, et certaines conversations laissent sous-entendre d'autres inventions technologiques pour assurer la survie dans cette faible gravité. le lecteur peut même voir Nathan Fowler en train de faire de l'exercice physique, comme pour compenser la faible gravité, et conserver sa masse musculaire. Henderson joue aussi sur le principe action/réaction, en particulier le recul d'une arme à feu pour un individu flottant dans l'air. Ces remarques explicites sur les conséquences de la faible gravité incitent alors le lecteur à se poser d'autres questions sur l'ampleur des adaptations nécessaires, sur le fait que 20 ans plus tard la vie semble continuer sans grande difficulté, alors qu'une si faible gravité proche du zéro aurait vraisemblablement provoqué des catastrophes en chaîne, occasionnant des destructions massives et des catastrophes écologiques impossibles à maîtriser (disparition des oiseaux, des insectes, etc.). Il suffit de penser à l'eau des océans se mettant à flotter librement, ce qu'induit le comportement des liquides montrés à 2 ou 3 reprises.
Le lecteur sent bien que le scénariste n'a pas forcément poussé jusqu'au bout, son raisonnement sur les conséquences d'une gravité quasi nulle. Il ressent ce manque dès qu'il se met à réfléchir plus avant auxdites conséquences. Cela ne l'empêche pas pour autant de pouvoir apprécier l'intrigue en elle-même. Elle s'avère plutôt simple : Nathan Fowler sait comment rétablir une gravité normale ce qui contrarie les intérêts économiques de ceux qui ont profité de ce bouleversement. Il s'en suit donc une mise en danger de Nathan Fowler, et sa fille prend la responsabilité de le protéger. C'est amusant de voir comment le scénariste inverse ainsi le schéma de dépendance entre parent et enfant, Willa devant prendre en charge son père. Il apparaît également que Henderson a choisi de faire reposer l'antagonisme entre 2 camps, celui des bons et celui des méchants, de manière un peu manichéenne, destinant cette histoire à un public plus jeune.
Arrivé au terme de ce tome, le lecteur est partagé. Il a apprécié de côtoyer une sympathique jeune femme, courageuse et débrouillarde, et d'assister à quelques scènes spectaculaires, bénéficiant d'une variation originale dans leur déroulement du fait de la faible gravité. Dans le même temps, il reste très circonspect quant à la logique interne du postulat de base du récit (la gravité presque nulle), pas très sûr que cette idée visuellement intéressante puisse tenir la route. Il se dit qu'il aurait également apprécié des dessins avec un niveau descriptif un peu plus élevé pour les environnements, de manière à mieux pouvoir se projeter dans ce futur proche.