C'est une histoire de confiance, donc de temps. Des gens qu'on pourait croire taiseux sont de véritables pies en réalité. Confiez-leur un secret, la moitié de la commune le connaîtra dans les deux jours.
Mais se peut-il qu’on hérite aussi de souvenirs qui ne sont pas les nôtres ? Énigmatiques au possible, tant que les autres refusent de poser des mots dessus ?
Elle avait raison, ta mère, faut se méfier des hommes. Ya pas plus traître et barbare à la surface de la terre. Les serpents et les requins, c'est des enfants de choeur.
Elle avait l'habitude. De tout temps et sous toutes les latitudes, les hommes ont rechigné à figurer sur des photos - de peur qu'on parvienne à lire au fond de leurs yeux ce qu'ils se sont appliqués à taire tout au long de leur vie, sans doute.
Je dis juste que la vie est faite comme ça : tu prends une route au lieu d'une autre, et ainsi de suite ; tu tombes sur des fourches et sur des carrefours où tu dois encore faire des choix. À droite ? À gauche ? Tout droit ? Faut se décider ma poulette, tu peux pas rester au milieu de la route à hésiter éternellement, parce que le temps file ; Y a du monde qui attend derrière toi et il faut bien faire quelque chose de ta vie.
Sur les photos qu' elle devinait dans la pénombre, sa mère jouait avec un ballon, souriait sur un vélo, se tenait droite les mains dans le dos, puis elle était couchée sur le ventre dans l' herbe. Elona lui demanda à mi-voix si, une nuit, elle avait su que c' était la dernière qu' elle passait ici, dans cette maison, sous ces draps. Elle lui demanda ce que lui avaient fait les hommes dont elle devait entendre les voix et les rires résonner en dessous de ce plancher. Elle lui demanda si c' était seulement à cause de son nom et des dates inscrits sur la tombe qu' elle avait inventé à son tour la mort de sa mère..
Du genre qu'on ne répète à personne, pas même à ses proches. Pour éviter de semer de la douleur ou du poison dans les sillons de deux ou trois générations successives ?
Quelque chose à la sortie d'un tunnel de tiges de ronces mortes, dans l'ombre bleue. Un gris, estima Carcesse à l’œil nu. Un beau morceau, immobile à souhait, le museau levé pour humer l'air, dresser l'inventaire des arômes alentour.
Dans la lunette n'apparaissait que la fourrure, plein champ. Même pas la peine de recadrer.
La détonation tira les environs du sommeil et la charpie se déploya en gerbes sur les lueurs dorées de la lune.
De tout temps et sous toutes les latitudes, les hommes ont rechigné à figurer sur des photos - de peur qu'on parvienne à lire au fond de leurs yeux ce qu'ils se sont appliqués à taire tout au long de leur vie, sans doute.
On hérite des yeux, on hérite des bouches, des couleurs de cheveux, de la forme des visages, et d'autres traits visibles encore ; des caractères et des manières, mais se peut-il qu'on hérite aussi de souvenirs qui ne sont pas les nôtres ?