AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 5Arabella


Il s'agit d'une île située sur la Havel, une rivière du nord de l'Allemagne, et qui passe par Berlin. Cette île a été achetée et aménagée à la fin du 18e siècle par le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II. Son fils, Frédéric-Guillaume III modifie grandement les aménagements de son père, de nouvelles constructions apparaissent, une ménagerie d'animaux de tous les pays du monde est installée, des serres, une somptueuses roseraie… Puis l'île retourne à un état plus sauvage, le palmarium (serre des palmiers) est détruit par un incendie en 1880.

Le roman de Thomas Hettche nous raconte l'histoire de l'île, de ses constructions, de ses jardins, plantes, animaux, du tout début du 19e siècle, jusqu'à l'incendie de 1880. le personnage qui nous guide dans cette histoire, et au passage nous fait découvrir la sienne, celle d'une naine, est Marie, nommée demoiselle du château de l'île aux paons. Elle vit là son enfance, entre son frère Christian, nain lui aussi, et la famille du jardinier en chef, Ferdinand Fintelmann, qui a recueilli sa belle-soeur et ses trois garçons. D'autres personnes viendront dans l'île au gré des besoins de l'aménagement de l'île, ou des caprices royaux. Et bien sûr les visiteurs, dont en premier lieu la famille royale, dont l'île est un des lieux de villégiature préféré.

Nous suivons le personnages de Marie et de ses proches, mais aussi l'histoire de l'île, qui résume aussi d'une certaine façon celle de l'Europe de l'époque. Les événements historiques : les guerres napoléoniennes, les révolutions et autres, même s'ils parviennent dans ce lieu d'une façon lointaine et assourdie. Mais aussi, et c'est sans doute le plus important, la façon de voir, de considérer le monde, les mentalités et représentations, la façon d'envisager l'autre, l'ailleurs. Nous voyons évoluer la conception de la nature, du beau. Entre le jardin un peu sauvage, le goût des ruines, puis un aménagement moderne, à la point de la technique, d'une maîtrise absolue de l'environnement par l'homme, avant de revenir à une forme d'abandon, la nature n'étant plus réellement à l'ordre du jour. Sont évoqué aussi la façon dont les époques envisagent l'altérité, la différence, l'étrange, l'ailleurs. L'histoire de l'île est celle des mentalités, autant que des personnes qui la peuplent. Des savants, botanistes, zoologistes et des philosophes, viennent sur l'île ou sont évoqués, de même que des architectes ou concepteurs de jardins.

Lieu hors du temps et de l'espace, décor de théâtre, conçu comme une image du jardin d'Eden, de paradis terrestre, presque irréel, il change avec les mentalités et les goûts. Il constitue aussi une sorte de prison, pour les animaux venus des antipodes, mais aussi pour certains de ses habitants, comme Marie, dont la différence lui interdit de vivre une vie ordinaire. Enchantée ou maudite, l'île est un endroit à part.

L'écriture est somptueuse, l'érudition de l'auteur semble immense, et j'ai été véritablement enchantée par la lecture de ce roman. Certes il ne faut pas s'attendre à un roman à l'action palpitante, il y a une lenteur, comme celle qui est nécessaire aux plantes pour croître ; plus que des événements le livre propose des ambiances, des sensations, et aussi beaucoup d'informations, sur la façon dont les jardins ont été conçus, par exemple. Mais c'est d'une intelligence rare, tout en restant très sensible, très émouvant, très charnel.

Un beau voyage dans un lieu unique, splendide et en même temps cruel, plein de nostalgie pour ce qui a été et ce qui n'est plus, et aussi pour ce qui aurait pu être.
Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}