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Critique de ScienceEtVie



Pour découvrir l'histoire d'Alan Turing, vous pouvez aller voir le film, « Imitation game », sorti en salle depuis quelques semaines. Vous y verrez comment ce mathématicien anglais qui, le premier, a saisi toute la puissance d'une machine à calculer programmable, a joué un rôle décisif durant la seconde guerre mondiale en décryptant les communications codées de l'armée allemande. Vous y verrez aussi comment il fut persécuté pour son homosexualité, condamné à la castration chimique et mit fin à ses jours, dix ans exactement après le débarquement, en croquant une pomme empoisonnée au cyanure.
Cependant, si vous voulez vraiment entrer dans le cerveau du fondateur de l'informatique, de la programmation et de l'intelligence artificielle, alors il vaut mieux lire le livre d'Andrew Hodges, professeur de mathématique à l'université d'Oxford, publié il y a vingt ans et rééditée à l'occasion de la sortie du film qui s'en est inspiré.
Car cette biographie de 700 pages est à la fois factuelle - dans la mesure où les traces écrites et les témoignages peuvent dissiper les secrets qui ont entouré sa vie - et pédagogique - dans la mesure où les notions fondamentales de logique et d'informatique peuvent être vulgarisées. Or la singularité d'Alan Turing ne se saisit justement qu'en suivant au plus près l'entrelacement de ces deux trajectoires : celle, concrète, d'un être de chair et celle, abstraite, d'un esprit inventant un monde nouveau.
« Je crois personnellement que l'esprit est éternellement lié à la matière, mais surement pas systématiquement par le biais d'un même corps. » A dix-neuf ans, dans une lettre destinée à la mère de Christopher Morcom, son collègue de l'université de Cambridge, son compagnon d'expériences scientifiques, et son grand amour, mort deux ans auparavant de tuberculose, Alan Turing, annonce déjà ce qui restera le thème central de ses réflexions.
Quatre ans plus tard, il fait entrer pour la première fois un corps matériel dans le royaume des pensées abstraites : en décrivant le fonctionnement d'une machine capable d'effectuer tous les calculs imaginables, il tranche par la négative une des questions les plus fondamentales de la logique mathématique (« y-a-t-il un moyen de décider si un énoncé est vrai sans en faire la démonstration ? »). Et fait naître la science informatique.
Quatre ans plus tard encore, il conçoit pour le compte des services secrets britanniques la machine décryptant les pensées secrètes des nazis. Et enclenche la course à la puissance de calculs.
A nouveau quatre années plus tard, il se demande jusqu'à quel point l'esprit peut cacher la nature de la machine, humaine ou non, qui la produit. Son « test de Turing », qui consiste à distinguer les réponses d'un homme et d'une machine se faisant tous deux passer pour une femme, formalise de manière aussi simple que vertigineuse la question de la frontière entre corps et esprit. Et deviendra le pivot de l'intelligence artificielle.
Andrew Hodges reste au plus près de la mécanique du corps qui produit ces pensées. Un corps toujours mal fagotté, se déplaçant à bicyclette, féru de course à pied, les mains souvent plongés dans la réparation de composants électriques ou dans la mise au point d'expériences physico-botanique. Et, au fil des pages, le lecteur apprend à connaître ce génie singulier coincé entre le sens du devoir et de la liberté, entre aspirations du corps et de l'esprit, entre solitude sexuelle et spirituelle.
« le corps fournit à l'esprit de quoi s'occuper », écrivait le jeune Turing à la mère de son âme soeur disparue. A moins de quarante-deux ans, la pensée a décidé d'arrêter la machine.
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