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Critique de ODP31


ODP31
19 février 2022
Décrépitude des corps mais pas des sentiments.
J'ai mis du temps à digérer le dernier Houellebecq avant de pouvoir gratter ces quelques lignes. Il faut dire qu'avec ses 730 pages dans un format de pavé cartonné inédit qui se veut éternel alors que le récit flirte avec le sapin, autant oublier la résolution de mettre sa bibliothèque au régime.
Si je m'étais lancé dans ce billet tête baissée dès la dernière page tournée, le verdict n'aurait pas brillé par sa nuance : roman inabouti, thriller en panne sèche à mi-parcours, record olympique de répétitions, provocateur en mal de polémiques... le bouquin prenait perpette et finissait dans une boîte à livres entre un vieil annuaire et un Sulitzer écorné (avez-vous remarqué que les boîtes à livres sont souvent des cimetières d'anciennes gloires éphémères ?). J'ai retenu mes mots de doberman en laisse car j'avais conscience que mon ressenti restait trop à la surface de l'histoire. J'ai souvent le cerveau qui flotte.
Avec davantage de recul, ma déception s'est muée en admiration. Oui, j'ai les convictions qui varient autant que celles d'un électeur entre deux scrutins. Alors, pourquoi ce retournement de pyjama (j'enlève ma veste pour lire dans mon lit) ?
J'ai d'abord compris que Houellebecq s'amuse quand il écrit et qu'il ne s'interdit aucune liberté. "La Possibilité d'une île", roman qui m'avait décu au moment de sa sortie, relevait selon moi de la même démarche. Ici, si son histoire d'étranges attentats et de campagne présidentielle dans les pas d'un clone de Bruno Lemaire s'efface peu à peu pour devenir un simple décor en carton, ce n'est pas parce que l'auteur était dans une impasse romanesque mais parce qu'il souhaitait passer ainsi d'un moment collectif un peu artificiel à la vraie vie.
La seconde partie du roman, la meilleure à mon goût, laisse donc les personnages fuguer de l'histoire. Il n' y a rien d'innocent dans ce changement de cap. Chacun est plus concerné par les affres de son quotidien que par les grandes affaires du monde. Et quand la maladie, la mort et l'amour s'invitent dans l'existence, l'actualité passe au second plan. Traduire cela par une bifurcation de genre au cours du récit est assez bluffant.
Ces épreuves vont raviver la flamme d'un couple d'énarques qui ne partageaient plus qu'un appartement et quelques politesses par consentement mutuel. L'AVC d'un père va réunir une famille qui s'était perdue de vue. Entre une soeur dévouée et guidée par Dieu, un frère sous le joug d'une harpie prête à tout, un père au passé mystérieux et un ministre habité par sa mission, le romancier s'écarte de son personnage habituel revenu de tout pour aller nulle part.
Il s'humanise le Michel, fait de la maladie et de la mort, l'occasion d'oublier les vieilles rancunes, de chasser les regrets et de consacrer les derniers moments de la vie à l'affection des siens. de Huysmans à Saint Augustin !
Comme on est chez Houellebecq, le naturel revient souvent comme un canasson emballé, la prose reste urticante. Il n'épargne au lecteur aucun détail dans les parcours de soin, c'est chimio vue d'IRM, et il prend plaisir à choquer son monde par des scènes de sexes qui s'affranchissent des limites. La politique ne sort pas non plus vraiment grandie de cette histoire qui voit un ancien animateur télé briguer en favori la présidentielle au royaume des apparences. J'ai déjà vu cela quelque part peut-être...
Avec ce romancier clivant et agaçant à souhait, je continue à penser que l'époque a trouvé sa plume.
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