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Critique de Bdotaku


Voilà près d'un an et demi qu'Hubert nous a quittés laissant derrière lui, comme autant de petits cailloux (des …scrupules, étymologiquement !), quelques albums posthumes qui paraissent au compte-gouttes et nous éblouissent. Après le multi primé « Peau d'Homme » publié en avril 2020, deux de ses dernières oeuvres sortent en cette fin de printemps : son unique « biopic », « Joe la Pirate », vie de la milliardaire Barbara Carstairs, réalisé avec sa complice Virginie Augustin et publié en mai chez Glénat ainsi que le premier tome du diptyque médiéval crée avec Vincent Mallié, « Ténébreuse », proposé dès ce mois de juin en édition limitée noir et blanc dans la collection « Aire Libre » des éditions Dupuis avant sa sortie en version « classique » en septembre.

Ces derniers ouvrages sont emblématiques des deux courants qui traversaient la production D Hubert : une inspiration réaliste d'une part - voire documentaire - comme celle qui a donné naissance au recueil « les Gens normaux » qui traite à travers dix témoignages du vécu et du ressenti de la communauté LGBT ; une veine beaucoup plus onirique et fantaisiste, d'autre part, celle qui présidait à l'élaboration de ses contes qu'il s'agisse de la série « Beauté » avec les Kerascoet, du « Boiseleur » en duo avec Gaelle Hersent ou de la tétralogie des « Ogres-dieux » concoctée avec Bertrand Gatignol. Et puis bien sûr, il ne faudrait pas oublier la trame autobiographique qui sous-tend plus ou moins explicitement chacune de ses oeuvres puisqu'il déclarait joliment qu'« écrire un personnage c'est l'habiller de petits bouts de soi ».

IL ETAIT UNE FOIS …

Ainsi donc, Il était une fois un chevalier déchu Arzhur, méprisé par ses anciens compagnons d'armes pour un crime qui entache à jamais sa réputation. Accompagné de son écuyer Youenn, il erre de tavernes en champs de bataille à la recherche du prochain contrat qui remplira sa bourse. Une nuit, trois mystérieuses vieilles femmes lui proposent le pacte dont rêve tout mercenaire : retrouver honneur et fortune en délivrant une fille de roi, retenue captive dans les ruines d'un château abandonné ...
En choisissant de proposer à Vincent Mallié un conte de fantasy médiéval, Hubert se replace sciemment dans les pas de Loisel et Letendre auprès de qui le dessinateur oeuvra sur deux albums de « La quête de l'oiseau du temps avant la quête ». On retrouve d'ailleurs des faux airs de Bragon chez Arzul, la nouvelle femme du roi ressemble à Mara jeune, et la truculence de l'écuyer Youenn évoque la gouaille de l'ami Javin. le scénariste adresse également quelques clins d'oeil dans ses dialogues à la saga « Star Wars » en reprenant la célèbre formule « j'ai un mauvais pressentiment » et en faisant parler la vieille nourrice dans une syntaxe à la Yoda. Il fait aussi référence aux contes celtes grâce aux prénoms de ses personnages et parce que la relation entre Goulven et Meliren rappelle celle du Roi d'Ys et de sa femme : un simple chevalier devenu Roi grâce aux pouvoirs de sa femme, créature monstrueuse et mystérieuse, qui lui donne une épée et une armure « forgées de l'autre côté ».

Il n'y a quasiment pas de voix-off enfin et les dialogues sont plutôt concis. Une belle place est laissée au dessin qui s'épanouit dans de larges plans d'ensemble aux décors soignés (auberges, châteaux ou ruines) ou au contraire dans des plans serrés sur les visages et des gros plans très expressifs où prévalent les jeux de regards rajoutant émotions et tension dans les interactions entre les personnages. Mallié joue avec brio de la dynamique des cases dans un découpage majoritairement en trois ou quatre strips mais rythmé et varié par l'alternance de bandes verticales et horizontales et de cases étirées qui donnent à l'ensemble un format cinémascope. Si la version noir et blanc permet d'apprécier la finesse de tous les détails, elle donne aussi de l'ampleur aux passages de batailles beaucoup plus jetés et confère une aura mystérieuse aux nuées qui représentent la fureur de Meliwen ou les bêtes nées d'Islen.

DU RECIT D'AVENTURES A LA METAPHORE

L'histoire de « Ténébreuse » s'inscrit donc dans un faisceau de références culturelles mais Hubert s'amuse aussi à en jouer. Ainsi, la princesse n'est pas la demoiselle en détresse à laquelle on s'attendait, le dragon n'en est pas vraiment un, le chevalier n'est pas preux . Ce n'est pas non plus la jeune fille qui est en harmonie avec la nature et qui connait les plantes et leurs bienfaits mais Arzul ! Et ce dernier démontre aussi à sa compagne de voyage avec beaucoup d'humour que monter en amazone est une véritable hérésie… Ce jeu sur les stéréotypes a une valeur ludique donc mais surtout symbolique. Comme dans « Peau d'homme », Hubert nous invite à voir au-delà des apparences et prône la tolérance.

On peut se demander qui désigne le titre : Islen ou sa mère ? L'adjectif « ténébreuse » est ici employé comme un prénom. Il peut qualifier une personnalité secrète et dangereuse ou bien chez qui règne l'obscurité. Or, si l'écuyer d'Arzul dépositaire de la sagesse populaire décrète dès le début sous forme de maxime « on dit que ce qui arrive à la faveur des ténèbres apporte rarement du bon », l'héroïne présentée est plutôt lumineuse et participe à la rédemption du héros. On pourra voir alors que, comme dans la saga des Ogres-Dieux et plus particulièrement dans le 4eme tome avec le personnage de Bragante, Hubert développe dans cette oeuvre une réflexion sur l'importance du déterminisme social et des projections familiales. Islen, bien que différente, est perçue comme un double de sa mère par les sujets du royaume. Elle porte sa couronne de papillons (qui, comme le rapporte Vincent Mallié dans l'avant-propos, est le détail moteur de l'inspiration D Hubert) comme une couronne d'épines, un fardeau. Elle doit se trouver en se différenciant, en se contrôlant aussi. Finalement à travers son parcours, le scénariste développe une belle métaphore de l'adolescence et de ses errances, en rejoignant ainsi ses oeuvres les plus personnelles telles « la ligne droite ».

Alors qu'on lui demandait pourquoi il avait un tel attrait pour les contes, Hubert répondit qu'il aimait « les contes qui grincent » et qu'il voulait « parler du réel avec la liberté de créer des images étranges et surtout émotionnellement fortes ». « Ténébreuse » est un beau conte métaphorique plutôt lumineux pour l'instant. Si on pouvait regretter le choix du noir et blanc pour « Joe la pirate », ici il se justifie pleinement puisqu'il permet de faire ressortir les thèmes principaux de l'album : la noirceur, la lumière, le combat quasi biblique des deux, la rédemption aussi. Cette version épurée est donc une réussite. On regrettera seulement son prix excessivement élevé qui ne la met pas à la portée de toutes les bourses.
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