Livre lu dans le cadre du DEFI LECTURES 2022 des Editions du Seuil, item "un livre qui sort de votre zone de confort".
Oui, l'euthanasie et le suicide assisté sont des sujets inconfortables, mais qu'ils ne faut cependant pas ignorer puisqu'ils sont aujourd'hui au coeur des préoccupations des Français. Je suis moi-même, depuis plusieurs années, adhérente de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD). Il n'y a donc pas vraiment de hasard si j'ai été amenée à lire ce témoignage.
Comme tout un chacun j'avais eu connaissance en 2002 du battage médiatique fait autour de la supplique adressée par
Vincent Humbert (jeune tétraplégique de 22 ans) au Président Chirac pour obtenir ce droit à mourir qu'il réclamait et qui lui était refusé par le corps médical et la société bien-pensante. A cette époque, je travaillais dans une association dont certains adhérents étaient très lourdement handicapés et qui, potentiellement, pouvaient être concernés par cette question de société.
Plus récemment, j'avais suivi aussi les multiples péripéties de l'affaire Lambert.
Cependant, je ne savais pas qu'un livre de
Vincent Humbert avait été écrit avec la collaboration du journaliste Frédéric Veille. Un témoignage sensible écrit par un jeune homme ayant toute sa tête et très lucide sur son impossibilité à sortir de son état d'enfermement. D'où la raison d'être de ce livre. Il y narre sa vie d'avant, les circonstances de son accident qui, en septembre 2000, fera de lui un "mort-vivant". A travers ses mots, on comprend tellement bien son ressenti : comment avoir été le jeune homme qu'il était à vingt ans riche des perspectives d'avenir qui lui étaient alors offertes et pouvoir accepter, à vingt-trois ans, une vie sans communication, sans sorties, sans amours, sans sexe, sans projets, une vie de dépendance, entre quatre murs, se résumant aux soins et aux visites de ses proches ?
Dans son livre, Vincent démontre qu'on peut être immobilisé, tétraplégique, dépendant des autres et avoir l'envie, la dignité de rester un homme affirmant ses choix et oeuvrant pour atteindre ses objectifs. Pendant des mois, il n'aura de cesse de faire entendre sa voix (enfin, via son pouce) à sa mère, à son médecin, au président... Par ses lignes, il impose à tous le respect : aux politiques qui ont bien du mal à légiférer sur le sujet (cela commence à bouger, mais c'est encore tellement trop lent...) ; aux médecins qui croient savoir plus que tout le monde et qui, du haut de leur savoir, finalement méprisent leurs patients ; aux proches et amis qui se doivent d'entendre cette parole, ce choix et l'accepter malgré leurs propres convictions ; aux lecteurs qui sont amenés à réfléchir sur ces questions difficiles ; à la société enfin qui doit s'interroger sur la finalité de ses vies invisibilisées (car cachées dans des hôpitaux spécialisés), de ses vies souffrantes et ô combien humiliantes pour les intéressés qui, comme Vincent, ont encore toute leur tête, de ses vies sans couleurs, sans saveurs, sans chaleur qui enchaînent les autres membres de la famille au même lit... sans compter ce qu'il en coûte au plan économique...
L'écriture est simple et fluide, en cohérence avec le propos d'un jeune d'une vingtaine d'année. Si l'aspect visuel est bien évoqué (on imagine bien Vincent dans son lit, le décor qui l'entoure et qu'il ne voit pas et la façon dont il peut interagir avec ses proches ou ses soignants), l'aspect du ressenti intérieur est encore plus développé et donc encore plus "parlant"... Rappelons-le, Vincent est tétraplégique (il ne peut bouger aucun de ses membres), il est quasi aveugle (ses paupières ont été cousues pendant des mois), il n'a plus la parole... Il dicte ses mots grâce à une pression du pouce sur la main après défilement des lettres de l'alphabet. Car, il veut faire comprendre à tous ce que l'on ressent lorsqu'on est dans cette situation !!! Vous êtes-vous déjà posé la question ? Avez-vous réfléchi à cette question si, un jour, votre fils devait se retrouver dans cette situation ? Voilà le genre de cheminement auquel Vincent invite le lecteur.
J'ai tout aimé dans ce livre bien sombre puisqu'on en connaît hélas l'issue (Vincent sera euthanasié à sa demande, en septembre 2003, par ma maman qui elle-même sera mise en examen, avec un médecin concerné, pour ces faits... avant d'obtenir un non-lieu). Comment ne pas être sensible au courage de cette mère ? Comment ne pas être émue aux larmes par les mots de ce jeune privé de vivre sa vie de jeune homme ? Comment ne pas avoir envie de "secouer le cocotier" afin que les choses changent enfin...
J'ai été aussi particulièrement émue à la lecture de deux textes qui accompagnent ce témoignage : la lettre d'un homme un peu plus âgé que Vincent qui est dans la même situation, et qui pourtant a fait le choix de continuer à vivre et qui parvient à y trouver du plaisir... et qui l'encourage à attendre ; le texte d'une jeune lycéenne (Anne Duclaux) qui, à partir de l'exemple de Vincent a obtenu le 1er prix au concours de plaidoiries des lycéens organisé par le Mémorial de Caen, en défendant un texte sur l'euthanasie, et dont voici les derniers mots :
"En conclusion, je dirai que tolérer cette pratique permettrait, enfin, à nos médecins consentants de ne plus pratiquer l'euthanasie dans l'ombre. En milieu hospitalier, environ mille cinq cents décès par an sont dus à un arrêt des soins. Arrêtons l'hypocrisie !
Cependant, il n'est pas question, pour les patients, de vivre dans l'appréhension constante de voir leurs propres médecins assimilés à des donneurs de mort. Légaliser l'euthanasie ? Il ne s'agit pas d'en faire une obligation ou une pratique applicable pour tous. Légaliser n'est pas banaliser. Il s'agit là de reconnaître l'exercice d'une liberté individuelle.
Regardons les choses en face. Peut-on dire qu'être maintenu artificiellement en vie, parfois pendant de longues années, dans un coma profond et irréversible, correspond à notre conception de la vie ? Accepteriez-vous, pour vous-mêmes, ce genre de déchéance ? Ne voudriez-vous pas maîtriser la fin de votre vie, ou seriez-vous capables de laisser à autrui la décision de prolonger cette vie jusqu'au délabrement ?
Ne pensez-vous donc pas que nous avons tous le droit de décider de nos derniers instants avant quiconque ?
Au nom de la liberté du choix,
Au nom de la dignité humaine,
Au nom de la liberté de la personne,
Accordons la priorité à la volonté individuelle.
Défendre l'euthanasie, c'est défendre la vie."