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Critique de fulmar


« Voyage, voyage, plus loin que la nuit et le jour »…

Quand survient le « désir, laisse » ton coeur s'enflammer et embarque vers des horizons lointains !
Lointain, dans l'espace et le temps, il y a plus de deux siècles, mais trois après les premiers découvreurs de l'Amérique.
Alors, Humboldt, il n'a rien découvert ? Non, il a exploré, toute la différence entre aventure et exploration, il fut l'un des savanturiers de son époque.

Pour situer le personnage, il est né la même année que Napoléon Bonaparte et Chateaubriand, en 1769 pour être précis. A l'âge de trente ans, il trouve un Bonpland, qui deviendra son ami, il s'appelle Aimé. Avec cet autre explorateur, botaniste de surcroît, enfin non, de la Rochelle, un port, endroit prédestiné pour être happé par le large, il embarque pour un voyage dans l'Amérique équinoxiale. Bon choix que ce Bonpland, qui avait déjà fait le tour du monde avec Bougainville. le baron prussien est plutôt spécialisé en géologie, le duo va donc faire merveille et permettre d'augmenter les connaissances naturalistes.

« L'Amérique, l'Amérique, si c'est un rêve je le saurai »…
Verra-t-il la « Yellow River » ? Il y a or dans Orénoque...

« Nulle part ailleurs la Nature ne l'appelle plus vivement à s'élever à des idées générales sur la cause des phénomènes et sur leur enchaînement mutuel. (…) Heureux le voyageur qui peut se flatter d'avoir profité de sa position, et d'avoir ajouté quelques vérités nouvelles à la masse de celles que nous avons acquises ».

Humboldt a beaucoup observé, mesuré et noté dans son « journal », s'intéressant pratiquement à tout : au relief, au climat, à la flore, à la faune, au mouvement des étoiles, au tellurisme, à la production agricole, à l'économie, à la démographie, aux différentes ethnies, etc.
Aidé de Bonpland, il a collecté des végétaux, des minéraux, des animaux et même des ossements humains.

Comme il sied à un récit de voyage, la narration de « Voyages dans l'Amérique équinoxiale » est globalement linéaire. Cependant, Humboldt y procède à de fréquents allers-retours, à des digressions, passant brusquement d'un thème à un autre, se répétant parfois, tellement les sujets qu'il traite sont riches et variés : preuve de son inépuisable curiosité intellectuelle, de l'acuité de son sens de l'observation et de sa volonté de partager son savoir encyclopédique.

Arrivé au Vénézuela, ce qui le frappa en premier lieu, c'est l'esclavage encore présent dans ces contrées. Il étudia donc l'espèce humaine locale, ou plutôt celle arrivée d'Afrique pour « alléger » le travail des négriers. La description qu'il fait de cette rencontre, faite d'étonnement et de compassion illustre l'intérêt qu'il porta à toutes les manifestations de la vie sur la Terre.

« C'était la nuit d'un dimanche, et les esclaves dansaient au son bruyant et monotone de la guitare. Les peuples d'Afrique, de race noire, ont dans leur caractère un fond inépuisable de mouvement et de gaieté. Après avoir été livré à des travaux pénibles pendant la semaine, l'esclave, les jours de fête, préfère encore la musique et la danse à un sommeil prolongé. Gardons-nous de blâmer ce mélange d'insouciance et de légèreté, qui adoucit les maux d'une vie pleine de privations et de douleurs ».

Par contre, il revient sur les prétentions des « hommes de couleur » en affirmant que :
« Dans les missions, tout homme de couleur, qui n'est pas franchement noir comme un Africain ou cuivré comme un Indien, se dit espagnol ; il appartient à la catégorie des gens de raison, à la race dotée de raison, et cette raison, il faut en convenir, parfois arrogante et paresseuse, persuade les Blancs et ceux qui croient l'être, que labourer la terre est travail d'esclaves et d'indigènes néophytes ».

On perçoit sans mal dans de tels propos la trace des préjugés européens à l'encontre des dits « hommes de couleur », singulièrement des sang-mêlé, à qui il est reproché de ne pas savoir rester à leur place, de se proclamer égaux aux Blancs et de mépriser les Indiens.

Pour exprimer l'idée qu'ils vont nus, Humboldt dit avec humour, à deux reprises :

« Leur unique « vêtement » est la peinture vermeille dont ils enduisent leur corps, ajoutant qu'on peut distinguer deux sortes de peinture, selon que les individus soient plus ou moins puissants ».

Il est frappant de constater que Humboldt n'élabore aucune théorie scientifique sur la relation qu'entretiennent les Indiens avec la nature, se contentant de relater ce qu'il a observé ou entendu dire à ce propos.
Humboldt dit encore avoir vu quatre Indiens du Río Negro manger de grosses fourmis appelées bachacos dont l'abdomen, comme le lui a expliqué un missionnaire, contient une graisse très nourrissante.
Une autre coutume qui interpelle le savant est la consommation de terre glaise par les Indiens Otomacos de la mission d'Uruana. Humboldt écrit :

« Les Otomacos mangent de la terre, c'est-à-dire, en avalent pendant plusieurs mois, tous les jours, une quantité considérable, pour combattre la faim, et sans que cela n'affecte leur santé ».

Après les Indiens, le paysage. En vue du fleuve majestueux, Humboldt montre toute l'étendue de son talent d'écrivain et d'observateur. Une minutie des détails, l'immensité des lieux et un enchantement à lire ses phrases. le chapitre en question s'appelle « Le superbe Orénoque », titre utilisé par Jules Verne dans l'une de ses aventures.

« Une immense plaine d'eau s'étendait devant nous, comme un lac, à perte de vue. Des vagues blanchissantes se soulevaient à plusieurs pieds de hauteur par le conflit de la brise et du courant. L'air ne retentissait plus des cris perçants des hérons, des flamants et des spatules qui se portent en longues files de l'une à l'autre rive. Nos yeux cherchaient en vain de ces oiseaux nageurs dont les ruses industrieuses varient dans chaque tribu. La nature entière paraissait moins animée. A peine reconnaissions-nous dans le creux des vagues quelques grands crocodiles fendant obliquement, à l'aide de leurs longues queues, la surface des eaux agitées. L'horizon était bordé par une ceinture de forêts ; mais nulle part ces forêts ne se prolongeaient jusqu'au lit du fleuve. de vastes plages, constamment brûlées par les ardeurs du soleil, désertes et arides comme les plages de la mer, ressemblaient de loin, par l'effet du mirage, à des mares d'eaux dormantes. Loin de fixer les limites du fleuve, ces rives sablonneuses les rendaient incertaines. Elles les rapprochaient ou les éloignaient tour à tour, selon le jeu variable des rayons infléchis ».

Un autre domaine où excelle le narrateur est celui d'historien, de transmetteur d'événements qu'il apprit de la bouche de missionnaires à propos de la cruauté des réactions humaines lors de rencontres de tribus inconnues, donc forcément ennemies. Un rocher marque l'endroit où une indienne fut séparée de ses enfants. La fuite, les poursuites, les sévices infligés et la mort solitaire qui suivirent ont profondément marqué Humboldt qui écrit :

« Si, dans ces lieux solitaires, l'homme laisse à peine après lui quelques traces de son existence, il est doublement humiliant pour un Européen de voir se perpétuer, par le nom d'un rocher, par un de ces monuments impérissables de la nature, le souvenir de la dégradation morale de notre espèce, celui du contraste entre la vertu du sauvage et la barbarie de l'homme civilisé » !

Des mois plus tard, alors qu'ils avaient atteint la Colombie, un spectacle saisissant et répugnant donna à Humboldt l'occasion de « caractériser le degré de la civilisation et les moeurs du bas peuple ». Alors qu'ils assistaient à la procession de Pâques, voici ce qu'il advint le soir.

« Au coucher du soleil, on voyait dans les rues principales des mannequins de Juifs, vêtus à la française, le corps rempli de paille et de fusées, suspendus à des cordes à la manière de nos réverbères. La populace attendait, pendant plusieurs heures, le moment où « le feu serait mis à los judios. On se plaignait que les Juifs, à cause de la grande humidité de l'air, brûlaient moins bien qu'à l'ordinaire. Ces « saintes récréations » (c'est la dénomination qu'on donne à ce spectacle barbare) ne sont pas faites pour adoucir les moeurs ».

Mais revenons aux découvertes scientifiques. Dans l'Amérique tropicale, le savanturier ne visite aucun lieu sans noter sur ses carnets l'évolution de la température, la pression et l'électricité de l'air, la température d'ébullition de l'eau, les mélanges gazeux atmosphériques, le champ magnétique, le bleu du ciel, les espèces de plantes et d'animaux et leurs associations, ainsi que les roches.
Tout en s'émerveillant des paysages, il se comporte comme un physicien qui aurait sorti ses instruments du laboratoire.
Comment ne pas évoquer la découverte du courant marin qui porte son nom.
Alors qu'il venait d'arriver sur les côtes péruviennes, il poursuivit ses observations sur la température de la mer.

« J'ai compris que le froid saisissant que l'on ressent, sous les tropiques, a son origine dans la moindre chaleur de l'eau et dans le fait que la garua (moment où le soleil est voilé par une couche de nuages) atténue les rayons du soleil ».

Ce courant marin de surface, prenant naissance dans l'Antarctique, est froid, environ sept à huit degrés inférieur à la température de la mer à la même latitude. Ses eaux sont très poissonneuses. Mais le récent phénomène El Nino apporte un courant chaud qui diminue le plancton et augmente les précipitations à cet endroit.

Cette expédition équinoxiale n'a cessé d'être analysée, tant elle est dense et ambitieuse. Avec la crise écologique actuelle, elle a gardé toute son actualité. Son heure pourrait être à nouveau venue. Humboldt n'a-t-il pas, à partir de ses observations du lac Valencia au Venezuela en 1800, pesté contre les dégâts causés par les plantations coloniales ? Il y déplorait la stérilisation des sols liée à une déforestation brutale, la disparition de la végétation liée à un usage intensif de l'eau.
Il y voyait ce qu'on appelle aujourd'hui une boucle de rétroaction négative, avec la forêt tropicale jouant un rôle central dans le cycle de l'eau et le réchauffement global provoqué par la perturbation de ce qu'on appellera au XXe siècle le cycle géochimique du carbone.
N'est-ce pas là formuler, de manière limpide, le rôle des activités humaines dans le changement climatique qui a ouvert une nouvelle ère dans le temps géologique qu'on appelle l'anthropocène ?
Le récit de l'explorateur est riche et dense, à l'image de son voyage qui dura quatre ans. Il y aurait de quoi expliquer bien d'autres découvertes qu'il fit avec son compagnon.
La réédition de toutes ces notes prises tel un journal de bord sont à découvrir au plus vite. C'est une mine d'informations toutes aussi passionnantes que variées. Il manque juste une carte générale précisant le trajet effectué par les deux hommes.

« Voyage, voyage, éternellement »...

Merci à Babelio et aux Editions Libretto pour l'envoi de ce petit livre dans le cadre de la masse critique.




























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