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Critique de berni_29


Un été sans les hommes, n'est-ce pas une merveilleuse invitation ? Je parle bien sûr du roman de Siri Hustvedt.
Un été sans les hommes, mais où sont-ils donc passés ? Certains sont partis, évaporés, certains sont morts, d'autres n'existent pas encore...
Ce sont des femmes sans les hommes que j'ai rencontrées ici pour mon plus grand plaisir, à commencer par la narratrice, touchante personne touchée par ce chagrin qui l'étreint.
Elle s'appelle Mia, c'est une poétesse auréolée d'un prix littéraire et qui donne des cours de poésie dans une prestigieuse université new-yorkaise. Mia. À l'envers ça donne I am... Je suis Mia... Oui, mais Mia n'y est plus. Elle a perdu cette confiance allègre qui lui allait si bien. Est-ce l'approche de la soixantaine ?
Après trente ans de mariage, son mari Boris, un neuroscientifique renommé, a décidé de faire une pause. « Tu comprends ? J'ai besoin de faire une pause. » Oui, mais voilà, la pause a un visage, un corps, de jolis seins, la pause est bien plus jeune que lui, bien plus jeune que Mia aussi, la pause est belle, Française, c'est une collègue de travail joyeuse, rencontrée dans un laboratoire et les laboratoires c'est fait pour faire des expériences... « Alors, tu comprends Mia ? J'ai besoin de faire une pause... » Ici la pause devient la Pause...
Comprendre ? Comprendre quoi ? Pourquoi comprendre ? Comprendre que Mia est ménopausée ? Qu'elle a cinquante-cinq ans ? Qu'elle n'a plus son corps de trente ans ? Celui d'une jeune et belle Française avenante, avec laquelle on rit de manière complice tous les jours ?
Pendant que l'époux fait sa pause, Mia craque, pète un câble, Mia ne comprend pas.
C'est l'histoire d'un effondrement, d'une déflagration. Que va-t-il advenir d'elle ?
Elle est alors hospitalisée dans un service pychiatrique. Sa fille Daisy est à ses côtés. Sa soeur traverse le continent américain pour venir au plus près d'elle. Ce sont ces premières présences essentielles qui vont peut-être sauver Mia...
Il lui faut quelques jours pour comprendre... Pas comprendre la pause, pas accepter la Pause, non comprendre qu'elle peut se relever, qu'elle doit se relever, se reconstruire, guérir de cet abandon, de cette déchirure dans son ventre... Comprendre qu'il ne lui reste plus désormais qu'à vivre. Non pas survivre, mais vivre.
Alors elle décide de retourner sur les pas de son enfance, se retrouver dans une maison qu'elle loue dans le Minnesota, pour un l'été, là où elle a grandi et où vit désormais sa mère dans une maison de retraite tout près entourée d'amies de la même génération, de charmantes veuves rigolotes et espiègles, dont l'ainée a 104 ans... Ah ! Abigail et ses secrets iconoclastes !
La femme médecin neurologue qui la suit dans son hospitalisation donne son accord, à la seule condition de rendez-vous téléphoniques fixés toutes les semaines.
Pour commencer, elle décide d'enseigner la poésie dans le cadre d'un cercle artistique local à sept jeunes filles en fleurs, qui ont pour la plupart aux alentours de treize ans, un peu embarrassées de manière pataude par leur féminité qui surgit, les étonne et dont la poésie n'est pas forcément leur centre d'intérêt principal...
Un été sans les hommes devient alors pour Mia un été avec des femmes, avec ce grand écart générationnel dans lequel elle vient se poser comme un pont.
Mia se promène alors dans ce beau paysage empli de sororité, oscillant entre des adolescentes à la recherche d'elles-mêmes, des vieilles dames charmantes dans leur maison de retraite, les confidences de sa mère à qui elle n'a pas encore raconté le drame qui lui arrive, et puis la voisine perdue, désespérée, dont elle devine peu à peu une violence conjugale en arrière-plan, cette voisine qu'elle tente de consoler, de prendre sous son aile protectrice avec son enfant...
Mia observe ce microcosme animé exclusivement de femmes...
Toutes ces femmes qu'elle côtoie alors, avec leurs joies, leurs souffrances, leurs appréhensions, leurs désillusions, le désespoir des enfants cruels entre eux, l'humiliation qui peut conduire au bord du vide même à treize ans, la fin de vie pour d'autres plus âgées, c'est un chemin de guérison fait de sens pour Mia.
À ces jeunes filles persécutées, elle leur propose de se multiplier par les mots, de cracher des syllabes comme des sagaies.
Et puis il y a la relation d'une mère a sa fille, qui se parlent comme jamais elles ne l'ont faits encore.
La mort des autres est présente, se faufile dans le texte comme une ombre.
Dans Un été sans les hommes, ces derniers ne sont jamais loin, on pourrait même dire qu'ils sont tout le temps présents dans le texte. Et c'est là toute l'ironie du titre et la manière espiègle avec laquelle l'autrice joue avec ce thème.
Elle se sait encore fragile, titubante, elle tient debout... Au début, c'est un peu comme les vieilles dame de la maison de retraite, elle a l'impression de s'aider elle aussi d'un déambulateur pour avancer dans sa reconstruction.
Elle parle de ces instants comme d'une réclusion solitaire.
De temps en temps, elle reçoit des lettres de Boris qui donne des nouvelles de sa pause, - il appelle cela désormais un interlude...
J'ai aimé quand la narratrice avoue qu'elle avait envie de mordre brusquement, je me suis alors dit qu'elle était en bonne voie, qu'elle revenait à la vie.
Elle répond aussi aux lettre de Boris avec humour, quand lui commence à douter de cette pause. « Comment peux-tu rire de cela ? » questionne-t-il étonné ?
Elle se demande alors comment elle aurait pu tenir le coup sans l'ironie qui lui est sienne.
Peu à peu, elle se penche sur elle, son existence, mais sans pathos, avec détachement, avec autodérision aussi, fouillant les méandres d'une mémoire qu'elle convoque, mémoire de son coeur, de son corps aussi, mémoire sexuelle, comme si elle voulait comprendre, comprendre quelque chose qui a pu lui échapper...
Comprendre son histoire familiale, ce qui se terre encore dans son ventre, ce qui est enfoui...
L'autorité d'un père qu'elle contournait avec difficulté. Ce père à qui elle voulait plaire à toutes forces. Et cet époux, qui fait aujourd'hui une pause, est-ce un recommencement de tout cela ?
C'est une confidence, elle se laisse tanguer dans les mots. Devant un orage de nuit, elle se souvient de l'immensité du monde et c'est beau.
Dans ses souvenirs, la bibliothèque où elle se laisse déflorer pour la première fois devient alors un univers érotique insoupçonné et je vous promets que je n'entrerai plus dans ma médiathèque préférée avec la même innocence que jusqu'ici...
Il y a de belles sororités autant parmi ces vieilles dames qui tombent comme des mouches, que parmi ces adolescentes dont l'atelier d'écriture va prendre brusquement une allure de conte gothique. On dirait des sorcières pubescentes.
Texte féministe ? Texte féminin ? J'aurais tendance à dire, texte universel. le féminisme de Siri Hustvedt n'est jamais ostentatoire et n'est jamais dirigé contre les hommes.
C'est un féminisme élégant et construit, lucide et plein d'humour, trempé dans un texte riche empli de digressions, intelligent, parfois cru, souvent poétique, exigeant aussi. Beau autant dans sa forme que dans sa profondeur.
Un été sans les hommes n'est pas un énième roman sur le couple, ni sur l'adultère, ni sur la séparation. Heureusement, c'est bien autre chose.
« N'avons-nous pas tous le droit de folâtrer, de baiser, de batifoler ? » se questionne-t-elle à elle-même.
Siri Hustvedt est capable dans un même chapitre de nous parler avec beaucoup d'esprit de la naissance de la littérature romanesque, de l'orgasme féminin dont j'ai découvert ici la spécificité de l'espèce humaine dans le règne animal, - cela dit, de le savoir ne devrait pas révolutionner fondamentalement mon mode de vie, de la vie sexuelle chez les chimpanzés, de Mark Twain qui disait : « Une bonne bibliothèque est une bibliothèque qui ne contient pas d'ouvrage de Jane Austen. » Et Siri Hustvedt de renchérir : « Les douleurs de femmes, sans importance ? Ça peut aller quand c'est Flaubert, bien entendu. Pitié pour les idiots. » Et, - cerise sur le gâteau si j'ose m'exprimer ainsi, dans cette découverte romanesque fondamentale du XVIIIème siècle, de l'importance pour les jeunes femmes de l'époque de lire des livres légers d'une seule main, car l'autre, la dextra, doit pouvoir être allégée de toute contrainte afin de naviguer dans sa plus vertigineuse liberté... Je comprends aujourd'hui pourquoi les liseuses ont tant de succès...
Alors, Un été sans les hommes, est-ce un livre pour les femmes seulement ? Je pense que dans mon propos vous avez déjà une esquisse de réponse...
Un été sans les hommes. Mais qu'en sera-t-il à l'automne ?
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