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Critique de Arimbo




Ce court roman publié en 1884, se situe dans l'oeuvre de Huysmans entre ces deux romans majeurs que sont À rebours (1882) et Là-bas (1891).

Il n'a ni la flamboyance baroque de A rebours, ni l'exploration teintée d'ironie de l'occultisme et du satanisme de Là-bas.

En rade qui porte bien son nom, tant la vie des héros de ce roman est marquée par l'abandon, le naufrage existentiel, est un récit qui oscille entre naturalisme et symbolisme. Il n'en contient pas moins, je trouve, deux thèmes insolites, celui de l'exploration du rêve et du surnaturel et celui de la maladie psychique.

Jacques, en proie à de graves problèmes financiers et dont le couple bat de l'aile, pense trouver refuge, et prendre un nouveau départ, en s'éloignant de Paris avec son épouse Louise pour se rendre en Normandie dans le vieux Château de Lourps (curieusement le même nom que celui de A rebours) où vivent l'oncle de celle-ci, Antoine et son épouse Norine. L'oncle leur a promis « qu'ils pourraient y vivre en abondance ». En réalité, le château est une ruine sinistre, dont la plupart des pièces sont inhabitables, les jardins qui l'entourent sont à l'abandon, et l'église voisine délabrée. Antoine et Norine, couple de paysans qui vit dans une chaumière près du château sont des personnages antipathiques, grossiers voire grivois, âpres au gain, et malhonnêtes, et dont le couple parisien est contraint de subir les conditions de vie, dont la nourriture pauvre et infecte.
Durant ce séjour, le lecteur suit Jacques dans ses déambulations au sein des salles du château, des caves, de sa rencontre soudaine et terrifiante avec un chat-huant, de ses promenades aux alentours, dans les jardins du château ou de l'église qui lui apportent un peu de paix.
On le voit confronté au mépris et à la malveillance de Norine et d'Antoine, dont il réalise qu'ils le volent, et aussi à la grossièreté de ceux qu'il rencontre dans une auberge voisine.
En définitive, confronté à ces conditions de vie désastreuses et à cette ambiance hostile, le couple va, dès qu'il aura obtenu d'un ami un peu d'argent, s'enfuir avec précipitation vers Paris.

Mais ce séjour, et c'est sans doute le point le plus important, est celui de la révélation de la faillite du couple formé par Jacques et Louise. Une incompréhension et du mépris réciproque s'installent progressivement entre les deux époux. À cela s'ajoute pour Jacques l'énigme de la maladie de Louise, point sur lequel je reviendrai.

Et je crois que les trois rêves extraordinaires de Jacques, auxquels sont consacrés trois chapitres, expriment de façon inconsciente son sentiment du naufrage financier, sentimental, et sexuel de son couple.
Ainsi, particulièrement troublant est ce deuxième rêve décrivant la déambulation du couple sur la Lune, astre féminin par excellence, et de la vision de tous ses paysages figés, de ses mers et montagnes hostiles, rêve qui se termine par le constat que fait Jacques de la sottise de sa femme. Et alors que le premier rêve représente comme la promesse d'une femme jeune et offerte à un roi de l'Antiquité, le dernier révèle la femme sous un aspect physique horrible et devant laquelle Jacques s'exclame «Cette abominable gaupe, c'est la Vérité ».

On sait que plus tard André Breton fera de ce roman de Huysmans un jalon précurseur du surréalisme. Je ne sais qu'en penser, car ici, l'auteur ne fait pas explicitement du rêve le matériel de sa création.
Mais on pourrait aussi évoquer Freud qui publiera à peu près à la même époque (1899), le rêve et son interprétation.

L'autre thème qui fait pour moi l'étrangeté du récit, et qui nous éloigne du naturalisme de cette histoire aux accents souvent pessimistes et sordides, c'est la maladie de Louise. Une maladie dont Jacques nous dit qu'aucun médecin n'arrive à la soigner, et dont les manifestations, les crises de boulimie et d'anorexie, la crise pseudo-épileptique décrite dans le roman font penser à un trouble psychique et plus particulièrement à l'hystérie telle que Charcot la décrivait en fin de 19ème siècle. Devant cette maladie, on trouve un mari désarmé, mais, quant à lui, sans énergie et au psychisme dépressif.

En conclusion, un roman que j'ai eu plus de difficulté à cerner que À rebours et Là-bas, mais dont l'irruption du rêve dans le récit fait l'originalité.
Et puis, il y a comme toujours la beauté du texte, l'écriture toujours aussi riche de Huysmans, l'emploi de ces mots rares qui sont autant de bijoux qui parsèment le récit.
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