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Critique de Lutvic


Lutvic
29 décembre 2021
Tu ouvres ce livre et tu ne peux plus décoller tes yeux de ses pages :
Parce que « Zouleikha... » est un superbe roman traversé par le souffle épique des grands écrivains russes ; une fresque historique trompeusement cinématographique, se refusant tout penchant psychologisant ; il est aussi un magnifique essai sur le regard.
Et tu t'étonnes de ressentir comment ce beau livre, salutaire, peut résonner dans ton désert intérieur, en créant des petites vagues là où tout s'était figé.

Si tu le fais tien, tu verras que la question du regard est centrale et permanente : il y a l'oeil d'un dieu quelconque, inventé pour surveiller et punir, et il y a l'oeil intérieur.
Il y a le Surmoi qui tue, castre et maltraite (le parti, « le père des peuples » et leurs nombreux serviteurs zélés) et il y a toute une forêt de petits Moi, du plus humble et peureux, celui qui met du temps à s'avouer ses propres sentiments, jusqu'au communiste qui s'oublie pour faire survivre « ses » koulaks « déplacés ».

A travers les yeux de Zouleikha, tu saisiras, au-delà des arbres, l'esprit des steppes et les bulbes des églises russes, pulsant comme des fleurs dorées, et même la prison comme un grand organisme concentré sur l'effort de rester en vie. Ainsi que des jolies représentations animistes et panthéistes qui seront toutes pulvérisées face à l'amour pour son enfant et à l'énergie mobilisée pour le faire grandir.

Tu imagineras les peintures d'Ikonnikov, miettes de culture dans la nature la plus hostile, comme des fenêtres et des leçons d'histoire, telles que le jeune Youssouf les voit et que la vie met sur son chemin.

Et ton regard accompagnera, soucieux, le brillant docteur Leibe qui, pendant un bon moment, semble préférer le délire psychotique : tiède, aveuglant et protecteur face à tout ce qui fait mal à voir.

Tu vas souffrir, tu vas t'étonner, et tu prendras un énorme plaisir à te laisser entraîner dans l'illusion que Gouzel Iakhina ne fait que promener un miroir le long d'un chemin afin de générer tout ce monde – tellement riche et contradictoire, enregistrant des subtiles métamorphoses et dévoilant des ressources insoupçonnables.

Bien sûr, tu n'échapperas pas à quelques questions : qu'est-ce qui rend possible ce regard tendre sur un pan d'histoire des plus cruels ? Où puisent leur force ce manuel de survie et cette balade follement belle dans la Russie et la Sibérie blessées ? Aurait-on pu écrire de la sorte si l'on n'était pas une petite-fille des tatars « déplacés », à quelques décennies de distance de ces épisodes traumatiques ?

Livre des larmes que le temps a séchées.
Voilà un livre capable, ne serait-ce que pendant quelques heures, de te tirer d'une dépression.
Ne te retourne pas, comme la femme de Loth, sinon tes larmes te figeront sur place.
Lève-toi, prends ton lit et marche, comme Zouleikha.
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