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Critique de Patsales


« Ils sont partout ». La formule, profondément antisémite, relève de l'euphémisme : le mot « juifs » n'étant pas prononcé, par connivence ou, désormais, pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Et les complotistes les plus connus continuent de regretter le bon vieux temps des chambres à gaz. C'est ce ce que nous rappelle cette BD très documentée, notamment scénarisée par une universitaire : quand on se met à croire que le jus de carottes soigne les cancers en phase terminale, on est en bonne voie pour s'inquiéter d'un ordre mondial dominé par les Illuminati, les Francs-maçons, la finance internationale, bref les Juifs.
Je déteste la façon dont le pronom « ils » est de plus en plus utilisé. « Ils ont décidé que… »: c'est souvent le gouvernement qui est désigné ainsi, mais, au-delà de la paresse intellectuelle (qui peut bien se targuer de connaître les ministres de Macron I?), c'est bien sûr cette façon de créer un cercle magique autour de soi qui est détestable, d'opposer un nous aux autres indéterminés et interchangeables, forcément cyniques et n'ayant d'autre passe-temps que de m'emmerder, moi et mes copains. Or, qui d'autre que le Juif pour donner corps à cet autre radical et vicieux? Il est vrai que l'Arabe copulateur déterminé à nous remplacer n'est pas forcément en odeur de sainteté, mais enfin, l'Arabe est visible et il est compliqué de croire que tous les puissants de ce monde lui ressemblent. Alors que nous avons suffisamment évolué (si si) pour savoir que le Juif n'a pas forcément un grand nez, ce qui permet de le voir partout. Et si ce n'est lui, c'est sa femme ou son employeur. Ou son frère. Une vieille blague raconte que si un pays totalitaire décidait de déporter tous ses Juifs et tous ses coiffeurs, tout le monde se demanderait « Pourquoi les coiffeurs ? », actant que s'attaquer aux Juifs est une évidence.
L'ouvrage qui nous occupe imagine donc comment un groupe de rigolos peut être endoctriné pour commettre des attentats antisémites : si vous croyez que la Terre est plate, vous pensez évidemment qu'un complot immonde veut vous détourner de la vérité. Par conséquent, il y a forcément des coupables qui s'en mettent plein les poches quelque part (je suis d'ailleurs preneuse de toute explication sur les motivations des zaffreux méchants qui veulent me faire croire que la Terre est ronde: le lobby des certifiés de géographie qui entassent dans leurs lessiveuses les millions naïvement offerts par l'Education nationale, peut-être ?)
Le message de cette BD est donc clair: ne nous marrons pas. D'autres les tireront du feu pour nous. Non, les platistes, les thuriféraires de l'urine ou les adorateurs du nombre 11 ne sont pas de doux dingues dont il faudrait seulement rire.
Première explication: les complotistes stars ne sont rien d'autres que des hommes d'affaires que leurs excès bien rodés ont rendus riches (parce qu'ils vendent bien et cher des livres, des spectacles ou des extracteurs de jus de carottes). La deuxième : ils drainent des adeptes suffisamment sincères pour devenir de vrais méchants.
Seule solution pour les contrer: l'éducation. Quelqu'un qui sait pourquoi le drapeau américain semble flotter sur la lune sera toujours mieux armé pour rester (ou redevenir) lucide.
La BD est bien faite et intéressante, aucun doute (si j'ose dire) là-dessus.
Mais ce n'est qu'une BD d'à peine plus de 100 pages. Elle m'a pas mal laissée sur ma faim: d'abord parce qu'elle n'aborde pas le problème essentiel du point de départ: à quel moment va-t-on se mettre à croire que la Terre est plate? Ensuite parce qu'elle balaie toute nuance entre l'inculture scientifique et l'opinion critique: on peut se poser des questions sur la déontologie des grands groupes pharmaceutiques sans mettre en doute la nécessité des vaccins. John le Carré a écrit « La constance du jardinier » et ça ne fait pas de lui un illuminé du bulbe. Enfin, l'héroïne garante de la rationalité éclairée est une journaliste de la presse féminine dont la futilité m'inquiète à peine moins que les théories fumeuses des urinothérapeutes: boire sa pisse ou changer de ceinture parce que l'ancienne est sooo 2021, personnellement, j'ai du mal à voir une différence concernant la sous-utilisation de ce qui est censé se situer entre les deux oreilles.
J'ai aussi des réserves sur le dessin dont le trait semble davantage correspondre à une image unique qu'à une succession de cases sans dynamisme particulier.
Après, hein, qui suis-je pour critiquer un livre sur le complotisme et les fake news alors que je suis toujours aussi fermement convaincue, malgré les preuves les plus indubitables, d'être capable de ressortir d'une librairie les mains vides?
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