Citations sur Les géants (20)
Les cailloux n'ont peur de rien. Ils n'ont pas peur de l'orage, de la mort, du soleil, de la mer. Les dents des cachalots déchirent tout, les hommes, les baleines, les navires, mais elles se brisent sur les cailloux.
Il y a plus de matière, ici, et là, partout, que de mots dans la langue. Alors qui ose encore parler de conscience ? Qui ose encore dire,
« Je… »
« Moi je… »
« Je pense que, je dis, j’écris… »
Soyez libres: c'est presque possible.
Pour être une belle machine, il faut d'abord enlever sa tête, c'est ainsi. Il faut perdre toutes ses pensées, tous ses mots, toute l'organisation bavarde et prétentieuse. Il faut que la pensée soit ailleurs, dans le centre du corps, dans les bras, les jambes, et sur la peau de métal. C'est ça qui est le plus douloureux, parce que les hommes n'aiment pas trop perdre leur tête. Ils sont tellement habitués à vivre à l'intérieur de leur tête, comme des drôles de mollusques.
C’est ainsi, maintenant, la carapace de ciment recouvre la terre, elle est hermétique et dure, rien ne peut la pénétrer ; les fleuves roulent dans de grands égouts, les cataractes sont prisonnières des barrages. Jusqu’au fond du ciel, jusqu’au fond de la mer, jusqu’au fond des volcans, il y a un homme.
Soyez libres : c'est presque possible.
Il y a des langages terribles, grands, qui couvrent l’espace et le temps, des langages tellement grands que tous les mots de toutes les langues tiendraient sur une seule de leurs poussières.
L'homme peut s'arrêter, et regarder autour de lui avec son drôle d'oeil de poisson mort. Le monde est suspendu un instant en équilibre au-dessus de l'abîme, puis il oscille, lentement, et il retombe; il roule le long de la pente invisible, il gagne de la vitesse, il descend, de plus en plus vite, il déboule sur sa route inconnue.
L'homme était devenu un objet d'étude pour l'homme, le seul sujet d'étude. Libérez-vous! Cessez d'être étudiés! Nul n'a le droit de connaître l'homme. Parce que, pour connaître, il faut être au-dessus. Réveillez-vous! Lentement le dessin diurne apparaît, et l'on voit alors les pièges. Gouffres à chaque pas, pour vous engloutir, gouffres que que les mains criminelles ont creusés sous vos pieds.
Ivresse de la parole alors, la seule force libre.
La puissance du langage des Maîtres est inextinguible. C'est une puissance secrète qui pénètre chaque chose et chaque personne, et la rend silencieuse. Le langage des Maîtres ne veut pas communiquer. Il n'est pas fait pour être parlé, ni entendu. C'est un langage qui dévore des informations et donne des ordres. Il n'avale que ce qui lui sert, le reste il le désintègre. Sans cesse il trie les mots, les gestes, les actions, les rêves, et il les analyse. (P.165 - Gallimard)