Pour trouver l'énergie d'écrire, tu as besoin de te raconter mille et une histoires. Ton texte sera non seulement le meilleur mais le seul à pouvoir dire cela. Personne n'avait jamais rien écrit de semblable auparavant. Personne ne pourra rien écrire dans le genre après toi. En pensée, tu rédiges déjà ton discours de remerciements aux jurés du prix Goncourt.
L'"être-écrivain" n'existe pas. Il n'y a que le processus d'écriture qui compte.
Chaque lecture peut être le point de départ d'un nouveau texte.
Le jogger débutant parcourt quelques kilomètres (dans le meilleur des cas) avant de s'effondrer. Il lui faut ensuite trois semaines pour se remettre de son effort.
L'écriture fonctionne de la même manière.
Là où Charlotte Brontë a écrit Jane Eyre, toi, tu réussis à mettre bout à bout 3000 signes (en comptant les espaces). C'est comme si ton énergie mais aussi ton inspiration s'étaient simultanément déchargées, taries dans cet effort. Maintenant, il te faut attendre une durée variable mais néanmoins assez importante (une semaine ? un mois ? davantage ?) avant de retrouver la force et l'inspiration nécessaires à l'écriture d'un autre texte, qui n'aura rien à voir avec le premier.
On te refuse. Ça fait toujours très mal. La lettre type fait mal...
Mon amie Catherine s'est vu répondre ainsi par un éditeur : 'désolé, mais nous ne publions plus que quelques amis.' ('mais, je ne demande qu'à en faire partie ! aurait-elle voulu répondre. Dites-moi quelle est la procédure à suivre pour gagner votre amitié !')
Je prolonge le plus longtemps possible la phase durant laquelle j'écris le premier jet d'un texte. Je me retiens le plus longtemps possible avant de passer à la phase suivante car je sais que, une fois entamée cette étape de retravail et de composition, il me sera très difficile d'écrire encore et de produire des textes utilisables pour mon projet. Je me presse moi-même comme un citron, jusqu'au moment où j'ai le sentiment de n'avoir plus la moindre goutte à donner.
Être artiste, c'est ne pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps sans craindre que l'été puisse ne pas venir. L'été vient mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité devant eux. (Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète)
Ce que j'ai voulu dire est-il clairement dit et formulé de façon compréhensible pour le lecteur ?
L'écrivain écrit pour être aimé. Il est lu sans pouvoir l'être. (Jules Renard)