Les mocassins bien cirés ont tendance à me voler dans les plumes. Et pourtant, moi, à les voir s’activer ainsi, ces fourmis ridicules qui se hâtent, piétinent, halètent et traînent leur visage barricadé dans le métro ou le train, je ne peux que les aimer. Pourquoi brûlent-ils le pavé ? Pour aller « travailler ». Ils se croient fute fute, à courir après leurs bouts de papier. Ce travail les rend chèvres mais ça sert à quoi s’ils peuvent même pas le bouffer, ce papier ?
Je me rappelle très bien quand il a, pour la première fois, posé les yeux sur moi. J’étais pas plus gros qu’un chaton à l’époque ! Bon, je vais vous avouer un truc : je n’suis pas « pure race », comme ils disent. C’est peut-être pour ça que la maîtresse de ma maman elle nous a déposés, moi et mes sœurs, dans une très grosse boîte qui puait la friture, les vêtements sales, et beaucoup de choses très grasses (j’ai su plus tard qu’on appelait ce truc « poubelle »). Bon, j’étais pas tout seul. On était cinq là-dedans. Alors, comme on voulait sortir de c’te grosse boîte qui puait les chaussettes sales, on a commencé à japper. Et c’est comme ça que Roger nous a récupérés.
On s’arrête à l’ombre d’un grand chêne. Au tour de Coco de se confier.
– On peut dire que moi, j’ai eu de la chance. J’ai eu une maîtresse qui prenait bien soin de moi. Elle m’a accepté comme j’étais alors que les autres, souvent, ils lui demandaient ce qui m’était arrivé et me regardaient comme si j’étais pas normal. Oh, pas les autres animaux, non. Ce sont les humains qui me jetaient souvent leur regard gêné, aussi lourd qu’une enclume. Le pire, c’était leur regard de pitié. Alors ma maîtresse, elle volait dans les plumes de tous ceux qui me cherchaient des noises ! Et ils comprenaient vite qu’il fallait pas nous chercher. Ce… (il cherche ses mots), cet handicap, pour moi, ce n’en était pas un. L’amour de ma maîtresse était le meilleur des remèdes.