(...) le problème de Mamie n'est pas que sa mémoire s'en aille mais plutôt qu'elle déborde, par moments. Certains souvenirs très forts encombrent sa tête, s'entrechoquent comme des boules de billard et provoquent des crashs. (p. 94)
Enfant, on ne pense qu'à soi. Et puis un beau jour le décor s'anime, l'univers se met à exister à vos yeux, et vous dégringolent sur la tête tous les malheurs du monde, qui vous oppressent le cœur. C'est probablement cela, grandir.
La jeune fille est un papillon pensant qui vole d'une orchidée à l'autre dans l'immense forêt amazonienne de ses émois adolescents.
(...) tu connais notre grand principe : priorité au bonheur d'être sur le désir d'avoir. (p. 34)
Représente-toi la mémoire sous la forme d'un damier avec des milliers de petites cases éclairées, reliées entre elles par de minuscules fils électriques. Si des fils cassent, des cases s'éteignent. Ca, ce serait une attaque cérébrale. Une tumeur produirait l'effet d'une bouteille d'encre qu'on renverserait sur le damier. Tout un tas de cases seraient obscurcies d'un coup. Le problème de Mamie, c'est que les cases pâlissent les unes après les autres, et s'éteignent doucement. (p. 57)
On aurait tort de se figurer qu'une minifamille est unie comme les doigts de la main. Cette main-là, autant le dire tout de suite, ne ressemble pas à celle d'un palmipède. Enfin à la patte d'un palmipède. Il n'y a que deux doigts, aussi différents et aussi éloignés l'un de l'autre que le pouce et l'auriculaire. Entre les deux se situe le grand vide de fréquentations très épisodiques. Une question d'art de vivre. (p. 30)