La langue est cruciale dans la construction identitaire du transclasse : celle qui est choisie trahit un choix de vie, une rupture sensible avec le milieu d'origine. Les gestes ou les vêtements sont les premiers signes visibles, les mots sont les premiers signes audibles. Le transclasse choisit un idiome pour marquer, de sa volonté verbalisée, la frontière qui incarne son départ de la classe d'origine. Il semble maîtriser ce choix. Pourtant, d'une certaine manière, le transclasse ne peut jamais se défaire de la langue à laquelle il était lié avant : il ne peut pas s'offrir le luxe, par exemple, de faire semblant de ne pas comprendre. Il est condamné à comprendre les manières de parler des deux classes qu'il recouvre. Cela vaut aussi bien pour le transclasse quittant la ruralité pour la ville que pour celui qui change de pays.
Je suis transclasse, triple transclasse même : de l'Inde à la France, de la vie de cité à celle de Paris, et du tamoul au français.
Par mon histoire, le transclasse m'est apparu comme indissociable de la figure de l'éternel émigré. Ou plus qu'émigré, ce participe passé substantivé qui marque une fin - je l'associe au migrant, participe présent de l'action toujours en cours. Paradoxalement, même si cette réflexion autour de la migration provient de mon histoire personnelle, elle me semble porter une universalité.