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Critique de batlamb


Une lecture extrêmement précieuse pour comprendre les origines et le développement des trois grands courants de pensées chinoises (d'origine ou d'adoption, le bouddhisme étant né en Inde). Javary adopte une approche chronologique pour traiter séparément chacune des trois pensées en question. On pourrait donc craindre qu'il les compartimente trop. Mais l'étanchéité est évitée par une mise en perspective avec le contexte socio-culturel, ce qui induit inévitablement à observer les rapports entre ces trois pensées : leurs conflits, leurs fausses similitudes... mais surtout leur complémentarité synthétisée par la légende des trois rieurs de la rivière du Tigre : trois amis, chacun disciple de l'une de ces sagesses, discutent ensemble avec tant de passion qu'ils en ignorent les plus féroces prédateurs et rient à l'approche de la mort.

Le passage traitant de la différence entre vide taoïste et vide bouddhique m'a particulièrement interpellé. En occident, nous avons une vision généralement très négative du vide. Dans les sagesses chinoises susmentionnées, le vide est positif... mais selon deux définitions précises et distinctes. D'abord le vide taoïste : une absence d'activité qui revient en fait à se laisser porter par le rythme de la nature, afin d'éclore à la vie. On se vide pour se remplir, d'où l'importance du yin et du yang en tant que symbole de cette pensée. Dans le bouddhisme, le vide est une extinction du moi, qui libère de l'illusion du monde sensible (extinction est le sens du mot nirvana en sanskrit). Dans l'un, on cultive son désir de vivre. Dans l'autre, on renonce à toute forme de désir. Javary montre bien quelles incompréhensions et controverses cela a pu causer, rien qu'en Chine.

Il est également très intéressant de découvrir qu'il y a plus de 2200 ans, la Chine avait déjà connu une période que l'on pourrait qualifier d'extinction culturelle massive. Pensiez-vous que l'on ne pouvait pas faire pire que Mao ? Examinez donc ce décret lapidaire de Qin Shi Huangdi, premier empereur de Chine : « Brûler les livres, enterrer les lettrés ». Comme quoi Farenheit 451 n'a rien inventé.

La résistance à cette injonction est à porter au crédit des lettrés confucéens, qui incarnent pour leur part les valeurs d'humanisme et de stabilité institutionnelle. Contre la peur et l'ignorance, ces valeurs peuvent s'avérer plus efficace que la Grande muraille de Chine :
« Chaque intellectuel devait remettre tous les ouvrages de sa bibliothèque. Quiconque cachait des volumes pour les soustraire aux perquisitions était condamné séance tenante à être enterré vif à côté des bûchers où brûlaient les exemplaires qu'il avait tenté de dissimuler. Malgré l'effroi de ce supplice, de nombreux lettrés confucéens celèrent, au péril de leur vie, des exemplaires dans les murs de leur maison. Calme héroïsme qui, aidé par la mémoire des plus âgés, permit quelques dizaines d'années plus tard d'effacer les effets de ce crime contre la culture. (…) Vouloir éradiquer tout ou partie du passé de la Chine est une tâche malaisée ; les gardes rouges en firent à leur tour l'expérience. »

Mais la rigidité des rites confucéens (que n'a pas voulue Confucius, nous assure Javary) a parfois eu des effets néfastes ; car ironiquement, les confucéens pratiqueront à leur tour des persécutions contre les bouddhistes quelques siècles plus tard. L'Histoire se répète et redistribue les rôles.

Aujourd'hui encore, la tradition chinoise résiste au capitalisme sauvage et à la dictature, Mao étant lui-même devenu un shen (esprit protecteur) contre les accidents d'automobile. Combien de temps cela durera-t-il face au Dieu argent ? (voir à ce sujet l'excellent film d'animation satirique Have a nice day, de Liu Jian).

À ce vaste travail panoramique, Javary adjoint une dimension philologique. Il s'évertue à nommer les concepts-clés à partir des idéogrammes chinois, dont il décortique les réseaux sémantiques, d'abord séparément puis dans leur association qui recompose un sens à la fois semblable et nouveau.
Pour qui veut comprendre la pensée chinoise, ce livre pédagogique me paraît être une porte d'entré idéale, en complément des grands textes fondateurs tels que le Tao Te King et les Entretiens de Confucius, qui sont les ouvrages les plus cités ici, en plus de spécialistes et/ou explorateurs de la Chine tels que Simon Leys, François Cheng, Henri Michaux

Enfin, le livre donne envie de visiter les sites mentionnés et décrits : la Cité Interdite incarnant la pérennité des rites, le mont Qingcheng où s'unissent le ciel et la terre taoïstes, le mont Emei où les bouddhistes voient leurs ombres sur les nuages se parer d'un halo…
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