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Critique de Nastasia-B


Personnellement, c'est la première fois que je lis de la BD politique engagée et, pour dire le vrai, j'ai trouvé cela très bien. Je ne connaissais pas grand-chose d'ETA, de son histoire, et de la situation récente. Maintenant, tout est plus clair dans mon esprit.

L'auteur se place à mon avis nettement du côté des indépendantistes basques mais sans faire du tout l'apologie du terrorisme, bien au contraire. C'est une oeuvre pacifiste et intimiste qui nous invite à prendre du recul sur nos convictions, leur vigueur, leurs fondements et les altérations de la perception dont nous pouvons souffrir.

Au moyen d'une anecdote sur le fait d'avoir vu des baleines probablement imaginaires, l'auteur espagnol, Javier de Isusi renouvelle l'expression classique française " voir des chimères ". Et il s'agit bien d'essayer de débusquer toutes nos chimères, tout ce que nous avons cru très fort, tout ce que nous nous sommes persuadés d'avoir vu de façon certaine, toutes ces baleines et qui n'était sans doute… que du vent dans les vagues. D'où cette illustration de couverture qui brille par l'absence de son sujet.

Nous suivons en particuliers deux personnages atteignant probablement la cinquantaine, voire la cinquantaine bien sonnées : Antón Uriarte et Josu Gorostiaga. Les deux étaient d'excellents amis naguère ; le premier a vu son père se faire tuer par ETA ; le second est emprisonné pour avoir été un membre actif d'ETA.

Josu n'est pas le tueur du père d'Antón mais on suppose qu'il a pu en assassiner d'autres ou concourir à en faire mourir. L'auteur montre, selon moi de façon convaincante, qu'il n'y a pas de salut dans 1) le déni, 2) la haine, 3) le communautarisme aveugle.

1) le déni : On n'arrive pas à oublier. Que ce soit Antón qui clame haut et fort qu'il a pardonné ou Josu qui culpabilise bien plus vis-à-vis de sa propre conscience que par rapport à un quelconque jugement public. Les deux sont tiraillés par leurs vieux démons même des décennies après.

2) La haine : C'est le recours facile, les solutions qu'on croit définitives au moyen du corollaire de la haine, la violence. Mais la haine ne produit aucune solution (contrairement à la violence qui, si elle est mauvaise et à bannir, peut parfois faire bouger les choses à moyen ou long terme, à condition que préalablement la haine ait disparu, j'y reviendrai plus loin). La haine est un aveuglement qui maquille la vérité.

3) le communautarisme : Croire que l'on peut régler des problèmes en se repliant sur soi-même, en faisant abstraction de ceux qui pensent différemment, en se mettant des oeillères sur tout et en ne jurant que par son propre petit trou du cul est une autre stupidité. Pour la bonne et simple raison que l'autre n'a disparu que dans l'esprit du communautariste, or il est bien réel et il faudra, qu'on le veuille ou non, apprendre à vivre avec lui.

En somme, d'après l'auteur, le seul salut c'est, pour les victimes, d'aller remiser son orgueil au placard, d'aller faire des pas vers l'autre en vue d'un réel pardon qui ne se bornerait pas à des paroles jolies et creuses. Bref, d'aller vers l'autre.

Pour les criminels, c'est d'aller remiser son orgueil au placard, d'aller faire des pas vers l'autre en vue de réelles excuses qui ne se borneraient pas à des paroles jolies et creuses. Bref, d'aller vers l'autre.

Vous avez remarqué, il s'agit de deux démarches très différentes. Les deux, à force d'aller l'un vers l'autre finissent par se rencontrer, se regarder, se parler, échanger, prendre la mesure de l'autre, la douleur de l'autre, la conviction de l'autre, la façon de penser de l'autre et finalement, respecter l'autre, le considérer comme un être humain lui, comme vous, comme moi, comme n'importe qui d'autre, qui a ses qualités et ses défauts, mais qui a droit au respect et à l'écoute.

185 pages de bandes dessinées au trait et avec deux nuances seulement, des lavis d'encre de Chine et de jaune que pour ma part j'apprécie beaucoup plus 6 pages de chronologie détaillée en petits caractères qui retracent l'histoire du sentiment national basque. Vraiment très intéressant et enrichissant pour qui souhaite creuser un peu la question basque.

Bref, quelque chose qui n'est peut-être pas un chef-d'oeuvre mais qui s'en approche fort. Cependant, si vous y regardez bien, cet avis n'est peut-être qu'une baleine au-dessus des flots, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P. S. : J'ai parlé plus haut de la violence qui peut amener, à terme, des avancées contrairement à la haine. Il est bien évident que tout recours violent est, par nature, à proscrire. Mais, dans l'histoire, on s'aperçoit que bien souvent, avant la table des négociations, s'il n'y a eu aucune action de force, on nous renvoie chez nous avec une jolie tape dans le dos et une bonne parole apaisante du style : « Compte là-dessus et bois de l'eau. » C'est, par exemple, le thème du merveilleux roman de Romain Gary, Les Racines du Ciel.
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