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Critique de Kirzy


C'est le troisième roman de cet auteur que je lis, et à chaque fois, j'ai l'impression qu'il me parle comme si on se connaissait depuis très longtemps. Michel Jean a le talent de questionner l'intime sans tomber dans l'exposition de soi, parlant de lui, de sa famille, plus largement de l'histoire des Innus et encore plus largement de celle des relations entre autochtones et Canada / Québec.

Le décès de sa grand-mère agit comme un catalyseur d'émotion et d'introspection sur l'auteur, le renvoyant face à lui-même. Lors des funérailles, une cousine de Jeannette lui dit : « Michel, l'Indien, tu l'as en toi ». Lui qui se sentait si peu autochtone à ce moment de sa vie, lui qui n'a pas grandi dans une réserve, lui qui n'a pas appris la culture de ses ancêtres. Lui qui avait l'impression de marcher dans un labyrinthe alors qu'il aurait pu demander le chemin à suivre à sa grand-mère. Michel Jean déterre alors sa propre histoire pour remonter vers ses origines.

La narration se fait à deux voix, «elle », la grand-mère, et « lui », le petit-fils, remontant chacun le sentier de leur parcours respectif, pour tresser le portrait d'un monde, celui des Innus et de Nitassinan ( « notre terre », le territoire ancestral des Innus ), qui n'a pas disparu mais se transmet génération après génération. Jeannette a fait le chemin inverse de sa mère, Almanda ( la magnifique héroïne de Kukum, Irlandaise devenue véritable indienne après avoir épousé un Innu ). Jeannette est née Shashuan Pileshish, « Hirondelle », une fille des bois, de la rivière et du lac Pékuakani. Elle a quitté le quotidien des chasseurs de la forêt boréale, a perdu son prénom indien, est devenue Jeannette par amour pour Thomas, mi-indien au statut de blanc, ce qui l'a exclue de sa communauté innu, l'a fâché avec son père et l'a forcée à se sédentariser à Pointe-Bleue. Michel, lui, journaliste, urbain, cherche à se reconnecter à l'Indien qui est en lui.

Et c'est très fort de voir comment les échos du monde de Jeannette se répercute dans celui de Michel, terriblement touchant aussi car Michel Jean est un conteur sensible, tout en retenu. Son écriture pudique, simple, minimaliste enveloppe le lecteur de douceur. On remarque à peine son écriture pour se focaliser sur le récit. Moins de mots mais chaque mot en dit plus, les silences disent beaucoup.

Il n'y a rien de rageur dans cette réappropriation culturelle, ce qui n'empêche l'auteur d'évoquer des sujets lourds comme le racisme subi par les Autochtones. Un exemple des humiliations qu'ont vécues au quotidien les Innus m'a particulièrement marqué. L'auteur y raconte comment, enfant, dans le cadre d'une représentation théâtrale scolaire, il a du jouer le rôle d'un iroquois tortionnaire du missionnaire jésuite René Goupil ( 1682 ), traumatisé et honteux de devoir mimer une attaque à la hache sur ce martyr.

Aujourd'hui, Michel Jean a fait inscrire sur les registres d'état civil officiels son appartenance au peuple innu. Il creuse son sillon d'écrivain d'une autre histoire des Autochtones canadiens, avec fermeté et sérénité, à l'image de ce magnifique dernier chapitre conclu en une émouvante passation culturelle avec son neveu, sur le lac Péribonka qui abrite sous ses eaux l'ancien territoire de sa famille englouti après la construction d'un gigantesque barrage hydraulique. L'indien en eux vit toujours.
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