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Critique de Brooklyn_by_the_sea


Un roman idéal pour se réconforter (mais c'est pas du feel-good).
Cyrille, 23 ans, diplômé en lettres modernes et en gestion et droit, s'imagine une carrière de poète ténébreux. En attendant l'inspiration, il voue une obsession aux seins des femmes, se languit d'amour pour celles qui lui adressent la parole, et se résout finalement à accepter des petits boulots mal rémunérés -il faut bien vivre. Il réussit néanmoins à évoluer professionnellement et à s'élever socialement, et rencontre un vieil universitaire revêche, l'infâme Trézenik, qui l'encourage à résister à la doxa pour vivre une vie qui lui ressemble. Mais est-il encore possible d'être soi quand on ne ressemble à personne ?

J'ai adoré ce roman, vif, riche, dense, érudit, intelligent -qui ne prend pas son lecteur pour une buse, mais qui reste pourtant accessible, qui réussit l'harmonie parfaite entre le fond et la forme. Il est très bien écrit, truffé de mots raffinés, et flirte gaiement avec le politiquement incorrect. Absolument jubilatoire.
J'ai follement aimé le personnage de l'odieux Trézenik, affreux réactionnaire à l'humour impitoyable. Je l'ai trouvé très attachant dans sa façon de s'accrocher aux vieilles idées comme à ses vieux livres, avec toute la morgue des vieilles canailles. Car si Patrice Jean aborde la question de la lutte des classes, les thèmes identitaires, l'emprise du capitalisme, il cible aussi avec précision les dérives du progessisme, réserve ses meilleures salves à la "modernité" de notre époque qui aseptise la pensée et l'expression, et tire à bout portant sur le wokisme avec une férocité jouissive.
Mais en plus de tout ce qui précède, ce roman est d'abord une ode à ceux qui n'ont pas envie de vivre en "mode projet", qui n'ont pas envie de s'agiter pour se sentir vivants, qui n'ont pas envie de se solidariser avec leur époque, qui n'ont pas envie de réussir leur vie selon les critères sociétaux : "Une vie réussie, ce serait donc le plaisir de bronzer, à côté d'une piscine bleu turquoise, en slip de bain ?" Patrice Jean célèbre le vide, l'incapacité à s'adapter à ce XXIe siècle déroutant et si méprisant envers ce qui rend(ait) la vie plus supportable, et à travers les propos percutants de Trézenik, déplore le déclin de l'esprit critique, de la beauté, de la langueur, de la poésie, de la littérature... Toutes ces choses en voie d'obsolescence.

C'est un roman qui fera grincer des dents ou amusera franchement (à la façon du "Voyant d'Etampes" d'Abel Quentin), mais quel que soit le ressenti, il restera un chef d'oeuvre d'humour et de pertinence, propice à la réflexion. Une rareté en devenir.
A lire et ranger dans toutes les bibliothèques idéales !
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