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Critique de jlvlivres


« Imaqa » de Flemming Jensen (12, Actes Sud, Bebel, 448 p.) traduit par Inès Jorgensen, narre l'histoire de Martin Willumsen, instituteur danois, de 38 ans, qui désire prendre un poste à Nunagarfik, au Groenland.
« Nunaqarfik n'est pas un endroit connu de tout le monde. Et pour expliquer clairement où cela se trouve, il faut commencer par le sud. Tout près de Sondre Stromfjord ». Nous voilà bien renseignés. Il faut dire que cela se passe « là où atterrit l'avion en provenance du Danemark, passe le cercle polaire, qui divise le Groenland occidental en deux parties : nord et sud. le cercle polaire marque aussi la frontière canine. Au sud, on n'a pas le droit d'élever des chiens de traîneaux ». On y voit tout de suite plus clair. Et pour clarifier encore les choses « En plus, tout au sud, on fait l'élevage de moutons. Et comme les chiens de traîneaux groenlandais ont en partie la même conception que les humains sur les possibilités d'utilisation de ces animaux, une cohabitation des deux espèces serait problématique ». Une fois ces marques posées, l'autre problème est que les habitants de ce village ne parlent que leur langage, et non le danois, sauf un gamin, de retour de l'école en même temps que Martin, et Gert, dit Gertekavsak, ce dernier terme signifiant « un filou, si on veut ». Mais il sera l'intermédiaire entre le danois et le groenlandais.
Très vite on découvre une pratique courante, la roulette groenlandaise, sauf que le barillet de la roulette comporte des canettes de bière. « Chacun avait posé une canette au milieu de la table et Jakob contint son rire lorsqu'il alla prendre au hasard l'une d'entre elles pour la secouer violemment. Et longuement: il trouvait ça tellement drôle! / - Bon, ça suffira, Jakob, dit le menuisier qui, même s'il fermait les yeux, entendait bien la bière clapoter dans la boite. / Jakob reposa immédiatement la canette parmi les autres et les intervertit jusqu'à ne plus savoir lui-même laquelle menaçait d'exploser sous la pression ».La sanction est moins rude que pour son homologue russe. Quoique…. Il faut faire attention au sens où l'on tombe. Tomber en avant peut vous placer le visage dans une flaque d'eau, avec noyade assurée.
On apprend vite les moeurs de ce village, de même que Martin. D'ailleurs son nom « finit par une consonne, ce qui est impossible en groenlandais », on l'appelle donc Martiniii, de même que Abraham s'appelle Abala, Jakob est transformé en Jakunguaq et Isaac en Isanguaq, « drôle de son pataud, sans doute agréable si on a la bouche pleine de dattes ». le lecteur apprend aussi très vite, ce qui fait qu'arrivé à la moitié du livre, à la fin de la première partie, on comprend les relations entre Marin et Naja, qui lui sert de bonne, telles que proclament les enfants du village « Martiniii Naja-lo POMPER, puuuuuuuuut ! ». D'ailleurs cela intervient après un concert mémorable du baryton Olaf Lindgreen, envoyé par le Ministère pour chanter « le Recueil des Chants du Danemark » dans les comptoirs du Groenland. de même à Igdlunguaq, les habitants avaient reçu la visite d'un conférencier de la Croix Bleue. le conférencier avait parlé de façon si convaincante, et la fête avait été si grande que le lendemain il avait fallu « ligoter le conférencier sur le traineau pour qu'il ne tombe pas en chemin » « Et deux jours entiers s'étaient écoulés avant que tout le monde dans le hameau fût capable de marcher droit ».
Deuxième partie. On découvre du zinc pas très loin du village. La société minière envoie même un hélicoptère pour ramasser les volontaires mineurs. le père de Jakob en fait partie. « Un chasseur qui veut occire un phoque ou une bande d'actionnaires qui veut mettre la main sur du zinc - c'est du pareil au même. La nature est notre réserve de ressources et cette réserve est multiforme ». Bien entendu l'argent que va ramener le mineur déstabilise le village. C'est dans cette partie que commence la débâcle. le retour à la vraie vie ne survient que « le 4 février à midi moins le quart, tout le monde s'était réuni autour du mât du gérant de la boutique, et lorsque le soleil rougeoyant surgit et emplit le monde d'une force imprenable, on chanta les vieux psaumes avec une énergie toute neuve : la vie était un vrai plaisir ». Mais tout se dérègle, même Qaqortuaroq, le chien, élevé en même temps Jakob, se retrouve pendu et figure au menu de Pavia, l'organiste, pendant plusieurs jours. Il y aura d'autres épisodes violents, volontaires ou non, surtout des accidents comme des coups de fusil malencontreusement décrochés (les fusils, pas les coups). Bref, le roman perd des personnages. Les Danois d'ailleurs envahissent un peu le paysage, la civilisation est en marche, hélas. Il est vrai, aussi, à la décharge de Martin, que ce dernier avoue ne connaître rien aux coraux tels que les décrit Monsieur Gudmansen, qui vient le tancer. « Lorsqu'on nage dans la mer et que l'on voit des coraux, on tombe amoureux de cette richesse de couleurs et multitude de formes. Et on est tenté d'en casser un morceau, vous comprenez, et de le ramener chez soi. Mais il se produit un phénomène étrange :au bout d'un certain temps, le morceau de corail perd touts ses couleurs et devient gris et triste. Il meurt ». Il aurait fallu que Erik le Rouge découvre des terres beaucoup plus au Sud, afin qu'on aît pu y envoyer Martin, la où il y a avait des coraux. Mais, bon, il a tout de même trouvé Naja, la morale est presque sauve.
On ressent tout de même, à la fin du livre, une nette dégradation de la culture et des moeurs des groenlandais. On se rend compte que ce livre, publié en 99, mais résultant de plus de 25 ans d'écriture, décrit les signes avant-coureurs de la décrépitude qui attend les habitants de cette terre, avec l'arrivée des mineurs, qui polluent tout avec leurs salaires, mais aussi plus prosaïquement de la civilisation, telle cette baraque à saucisses qui fait le tour des villages en proposant des viandes de récupération et du ketchup, à la place du phoque traditionnel.


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