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Critique de HundredDreams


C'est à chaque fois avec la même émotion que je découvre, dans ma boîte aux lettres, les livres que Babelio me permet de lire grâce aux masses critiques.

Parfois, j'hésite à m'y inscrire, ne sachant pas trop si l'histoire est faite pour moi. Lorsque Babelio m'a proposé de lire cette histoire, je n'ai pas hésité un seul instant, attirée par le titre, la couverture élégante, et la quatrième de couverture annonçant un univers proche de celui de Tim Burton et Edward Carey.
En déballant le paquet, j'ai été surprise de découvrir un tout petit livre ressemblant étrangement à un album jeunesse. Son format carré, les lettres dorées sur fond noir, le graphisme délicat et soigné pourraient en faire un objet précieux pour de petites mains.

Mais ce livre ne s'adresse pas aux enfants. Les nombreuses ellipses narratives, le caractère décousu au début de l'histoire, déroutent et rendent le récit complexe, mystérieux, intrigant.
Ce conte sombre et cruel plonge le lecteur dans un lieu étrange et austère, familier tout autant que merveilleux, dans lequel malgré tout, il perd vite tous ses repères. Enveloppé dans un grand manteau de neige et de glace, saisi par la froidure de l'hiver, il avance à l'aveugle.
J'ai pris mon temps pour apprivoiser le texte, relisant certains passages, parfois plusieurs fois.

Se dessine petit à petit un monde triste, sombre, insécure, tout de blanc vêtu, dominé par une seule saison, l'hiver.

« Dis-moi que tout ne va pas finir par la mort.
Que tout ne finit pas par Février.
Des fleurs sauvages mortes,
enroulées autour du cou d'un bébé qui pleure. »

L'écriture, agréable, offre un magnifique contraste entre douceur, onirisme et cruauté.

*
Imaginez un petit village niché au milieu de collines verdoyantes et ensoleillées.
Imaginez des champs cultivés, pleins de récoltes à venir.
Imaginez le murmure des ruisseaux, le chant des oiseaux, le bruissement du vent dans les arbres, les parfums champêtres et les rires d'enfants.
Imaginez-les heureux, sous un soleil éclatant, dévalant les collines, un cerf-volant à la main.
Imaginez les hommes portant des masques d'oiseaux, maîtres du ciel, à bord de montgolfières bigarrées.

« Mon père m'avait réveillée tard dans la nuit pour me montrer le soleil. Il m'avait portée jusqu'au bout de la colline et m'avait dit de regarder à l'horizon, vers les pins. Mon père avait essuyé la neige de mes cils, et il était là, une petite bille lumineuse derrière la cime des arbres.
C'est le soleil, avait dit mon père, et avec un peu de chance il fera fondre la neige et viendra l'été.
J'avais cru que les oiseaux s'étaient envolés avec une lanterne qu'ils avaient déposée dans la cime des arbres, pour moi c'était exactement à cela que ça ressemblait. »

Maintenant, imaginez Février étendant ses bras puissants de neige et de glace pour étreindre de sa puissance cet endroit autrefois coloré et lumineux où il faisait bon vivre.
Imaginez-le, répandant sa morosité et ses ténèbres en même temps que sa blancheur spectrale pour punir les habitants d'avoir osé voler dans le ciel.
Imaginez maintenant ce paysage drapé de mille nuances de gris, devenu stérile, figé dans le silence et le gel.

« Des ours bruns ont été vus en train de boutonner leurs manteaux en peau de biche en prévision des températures glaciales. »

Imaginez Février, abattant tout ce qui vole, les montgolfières comme les oiseaux, la lumière comme les rires des enfants.
Imaginez ces villageois envahis par de sombres pensées, piégés par le froid de l'hiver, vivant sans soleil et sans chaleur.
Imaginez maintenant leur tristesse, leur colère et leur inquiétude lorsque Février leur vole leurs enfants, les uns après les uns, les emportant malgré leur vigilance, dans sa demeure.

« Je regarde le ciel, les vagues grises déferlantes. Je suis épuisé et fou de la disparition de ma fille, ça me remue au plus profond de moi-même. Je casse une branche d'arbre. Je la fais tourbillonner en grands cercles avant de l'envoyer vers le ciel.
Elle s'envole bien plus haut que je ne l'aurais pensé, et volant de plus en plus haut, déchire une jambe de nuage, puis descend en flèche pour creuser un trou dans l'épaule d'un autre nuage.
Dans le premier trou, on voit une paire de pieds pendant du bord. Dans le deuxième trou, on voit un homme arpentant une pièce sombre. »

Ce récit parle de guerre et de résistance menée par quelques habitants du village contre Février.
Quels stratagèmes vont-ils imaginer pour se libérer de sa domination, le faire reculer et lui reprendre tous ceux qu'il a emportés ?

*
Ce bel album a tous les éléments classiques d'un conte de fées moderne : dans cet univers imaginaire et surnaturel, le héros doit affronter l'hiver et surmonter des épreuves afin de retrouver son enfant.
Comme dans tous contes, cette histoire est porteuse d'une morale, elle éclaire notre monde et révèle des vérités complexes sur la nature humaine autour du courage, de notre capacité à agir pour rendre notre monde meilleur, mais aussi malheureusement, de notre pouvoir de nuisance.

*
Les illustrations de la dessinatrice russe Anastasia Kardachova, la dimension sociale non négligeable, la pulsation, le rythme de l'écriture imprégnée de musique donnent à ce récit toutes les allures d'un conte russe. La personnification de Février rappelle Morozko, le roi de l'hiver, l'incarnation du gel dans les contes traditionnels russes.

Pour mieux nous faire partager les émotions des personnages, un véritable travail a été effectué sur la mise en page, les polices d'écriture, la taille des lettres, le graphisme et les couleurs.

*
Les contes de fées ont bercé mon enfance et c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai renoué, le temps d'une lecture, avec ce genre littéraire que je lis désormais rarement.
Conte fantastique, récit choral, poèmes en prose, « L'histoire de l'hiver qui ne voulait jamais finir » étonne par son style, la beauté de sa langue riche en images, en sonorités et en couleurs. Un premier roman touchant, un joli conte d'hiver empreint de poésie et de mélancolie, à lire pendant les longs mois d'hiver, bien au chaud au coin du feu, avec, en fond sonore, le bruit réconfortant du bois qui craque.
Une jolie découverte.

*
Un grand merci à Babelio, aux éditions la croisée et l'auteur Shane Jones qui ont eu la gentillesse de m'offrir ce beau cadeau.
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