Montaigne, Kant et mon chien

La fidélité du chien est à toute épreuve, même quand vous n'avez plus le temps que vous aimeriez lui accorder.

La poésie, la rêverie, la pensée se nourrissent des observations et des réflexions, elles s'impregnent de l'air du temps. Comment le saisir si nous avons le visage rivé sur nos écrans ? Ma chienne m'apprenait aussi à perdre du temps.

Tous ceux qui aiment les animaux vous le diront spontanément : l'une des grandes qualités de ceux-ci est qu'ils ne trichent pas. L'animal ne connaît pas l'hypocrisie, et sa franchise apparaît alors comme un miroir à nos faux-semblants et à nos masques. Franc, tel quel, sans filtre:l'animal ne ment pas, il ne se contorsionne pas pour plaire et ne se laisse pas embobiner non plus. Son honnêteté nous plaît.

Pourquoi versons-nous plus facilement dans la complainte ou râlons-nous contre ce qui fait la vie ? Comme s'il était sérieux et raisonnable de voir Kévin mauvais versant des événements ou du quotidien, comme si se plaindre nous donnait de l'importance ou de la hauteur, l'inquiétude semble, à tort, l'apanage de celui qui réfléchit. Le chien qui se réjouit de la promenade de quartier ou de la soirée à vos côtés n'est-il pas plus sage ?

On ne peut ignorer qu'Épicure y enseignait notamment les moyens de parvenir à l'ataraxie, la paix de l'âme, qui nous permet d'atteindre cet état que l'on qualifierait de bonheur, car notre âme n'est plus troublée en rien.
Aussi, il nous invite à ordonner nos désirs, responsables de notre malheur s'ils sont suivis sans contrôle : il convient de privilégier les désirs naturels et nécessaires (manger, boire, dormir...) à ceux qui sont vains, comme la recherche d'honneur, de gloire, de pouvoir.
Épicure conseille également de ne pas craindre la mort, car cette peur est irraisonnée. Ma chienne avait tout compris. Elle n'avait aucun désir vain, alors que nous, humains, poursuivions sans cesse des illusions, des désirs superficiels, courant vers notre insatisfaction ou bien notre déception une fois ceux-ci atteints. Nos désirs se succédaient, notre bonheur filait.

On ne dit pas assez l'ampleur du gouffre qui s'ouvre sous nos pieds lorsque notre chien nous laisse et lorsqu'il referme pour toujours ses grands yeux pleins d'amour. Dans un monde brutal et une vie qui ne nous ménage pas, le chien est un rempart contre la méchanceté ou la tristesse. Il nous fait le cadeau inouï de nous aimer sans nous juger, sans condition. Avant d'avoir un enfant, c'est bien ma chienne qui m'a apprit à aimer inconditionnellement, à la faire passer avant moi, à penser à elle plutôt qu'à ma petite personne. Comédie partit, emportant avec elle treize ans et demi de ma vie. J'eus l'impression qu'on venait de m'enlever une partie de moi. Mon binôme à quatre pattes n'était plus là, me soufflant qu'il allait falloir que je me débrouille toute seule maintenant. "Parce que maintenant, je t'ai montré, tu sais."

La constance du chien, dans sa fidélité à son maître comme dans sa joie de vivre, repose aussi sur cette grande leçon : accepte ce sur quoi on ne peut rien.

"Je te revois le soir et cela me rend pleinement et profondément heureux, enfin tu es rentré !" semblent dire tous les chiens du monde à leur maître de retour. [...] Notre monde humain manque de cette fête, de cette chaleur du retour, de ce plaisir de l'accueil. De la joie d'être ensemble, sans occasion ni raison autre que celle-là.

Comédie avait mis de la joie et du jeu dans ma vie, au quotidien

Ma chienne m'a appris plus que tous mes livres de philosophie réunis. j'ai grandi à son contact, je me suis décentrée de moi-même, et j'ai surtout vu la vie autrement.