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Critique de raton-liseur


Je connais Ismaïl Kadaré de réputation bien-sûr, et j'ai lu [Les Tambours de la pluie], mais c'était il y a bien longtemps et je n'en garde aucun souvenir. C'est donc la curiosité qui m'a poussée à solliciter ce livre auprès de l'éditeur.
En le lisant, je me suis bien aperçue que ce n'est pas le genre de livre que je lis d'habitude, un livre à la Modiano ne puis-je m'empêcher de penser (moi qui n'ai jamais lu Modiano…). Un livre où l'on revisite le passé, encore et encore, en s'interrogeant sans cesse sur le sens de petits détails, sur le jeu de dupe incessant entre les faits et la mémoire qu'on en a. Ce livre est comme un palais des glaces, on erre dans ses couloirs, dans les treize versions d'une même conversation de trois minutes entre Pasternak et Staline un jour de juin 1934, sans savoir où est le vrai et où est l'image déformée. Treize versions décortiquées dans la troisième et dernière partie du livre, qui représente la moitié du livre.
Mais ce n'est pas qu'un livre sur la mémoire, ce n'est pas non plus qu'un livre sur les parallèles entre Pasternak et Kadaré, tous deux écrivains sous un régime totalitaire, tous deux ayant approché le Nobel sans l'atteindre, ce n'est pas qu'un livre sur la façon dont la figure de Pasternak hante Kadaré, d'abord lors de son séjour à Moscou à la fin des années 50 en plein pendant la controverse sur l'attribution « bourgeoise » du Nobel à Pasternak (c'est la première partie du livre), puis lors de l'écriture de son livre [Le Pont aux trois arches] vingt ans plus tard (dont la publication est racontée dans la deuxième partie du livre), mais aussi lors d'un appel similaire que Kadaré a reçu de la part du dictateur de ce petit pays aveuglément aligné sur l'URSS de Staline, Enver Hoxha.
Et c'est un livre surtout, me semble-t-il, qui s'interroge sur les liens entre littérature et pouvoir, sur le rôle de l'écrivain dans un pays totalitaire, sur la responsabilité en tant qu'individu et en tant qu'artiste, sur le courage et la lâcheté. le livre s'interroge plus qu'il ne répond (la fin plutôt abrupte m'a d'ailleurs surprise), mais l'auteur arrive à nous emmener dans son tourbillon d'interrogation et à nous faire partager son questionnement sans fin.
C'est un livre qui se gagne. Il faut accepter de se laisser engloutir par le déferlement d'interrogations d'Ismaël Kadaré. C'est un livre qui demande de connaître un peu le milieu littéraire russe des années 30 ainsi que la vie et l'oeuvre de Kadaré (ce qui n'est pas mon cas, il m'a donc fallu plusieurs fois chercher des informations biographiques, ainsi qu'aller chercher qui était Ossip Mandelstam ou ce qu'était l'acméisme). Mais si l'on est un tant soit peu armé sur ces questions ou prêt à quelques petites recherches, ce livre procure un moment de lecture comme un tourbillon où présent et mémoire se mélangent, où vérité et perceptions se confondent, où les évidences n'existent plus et où le présent n'est plus que le théâtre d'un passé qui se rejoue sans cesse. Un livre court mais qui met mal à l'aise car il pose des questions auxquelles l'honnêteté intellectuelle ne permet pas de répondre de façon définitive.

Merci aux éditions Fayard de m'avoir permis de lire ce livre, via netgalley.
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