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Critique de jlvlivres


« Celui qui revient » (2016, Serpent à Plumes, 234 p.) vient de sortir sous une belle couverture grise à fleurs d'hibiscus dans une traduction de Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot. Un véritable choc littéraire que ce livre écrit en hommage aux morts des émeutes de mai 1980. « Après ta mort, je n'ai pas pu organiser d'enterrement,
et ma vie est donc devenue un enterrement ».
Cela se passe après la prise du pouvoir par la junte militaire, régime on ne peut pas dire plus autocratique avec quelques libertés vis-à-vis des droits de l'homme. Etait ce le prix à payer pour que les chaebols prennent (avec l'aide du gouvernement) le pouvoir économique du pays (et ceci au détriment de certaines règles démocratiques et à quelques libertés suspendues). Cela ne se passe pas sans heurts et les manifestations augmentent à Séoul, et à Gwangju, l'ancienne capitale de la province de Jeolla du sud. Les problèmes interviennent après l'assassinat de l'ancien président Park Chung-hee, semblant de libéralisation et en mai 80, grandes manifestations dans tout le pays. Répression impitoyable par l'armée, sous prétexte d'éradiquer le sursaut communiste (non vérifié). L'actuelle présidente Park Geun-hye est d'ailleurs la fille du président assassiné. Elle s'est timidement excusée pour les dégâts causés par son père sous son régime (c'est joliment dit, en tous cas). Il est frappant que 25 ans après, ces blessures liées à la répression ne soient toujours pas refermées. A cette époque en 2008, les étudiants étaient toujours en cités séparées par sexe.
Le livre en soi est découpé en sept chapitres, ou nouvelles, qui constituent cependant un tout, comme autant de points de vue des manifestations, ou plutôt des résultats des manifestations qui ont secoué les lycéens et étudiants face à la junte militaire. La répression a été très brutale, avec tirs à balle. En particulier, à Gwangju, on estime les morts entre 600 et 2000 sur environ 200 000 manifestants pour une ville de 750 000 habitants. Les personnes arrêtées sont au nombre de 56 000 dont 39 000 envoyées en camps de rééducation. Beaucoup furent laissés morts dans les rues, d'autres blessés, et les autres furent rassemblés et jetés en prison. Ils seront graciés par les militaires sous des prétextes divers.
Un second chapitre « Des souffles noirs » insoutenable, vu du point de vue d'un cadavre, parmi des tas d'autres, en début de décomposition que les militaires vont faire bruler. Puis les tortures et interrogatoires musclés infligés à une fille correctrice de tracts dans une imprimerie. Tortures aussi infligées aux détenus pour les forcer à rédiger leur confession de la main gauche, la droite n'étant plus en état de tenir « le stylo-bille noir de la marque Monami ». « Est-il vrai que les êtres humains sont fondamentalement cruels ? L'expérience de la cruauté est-elle la seule chose que nous partageons en tant qu'espèce ? La dignité à laquelle nous nous accrochons n'est-elle qu'une illusion, nous masquant l'unique vérité : que chacun de nous est capable d'être réduit à un insecte, une bête vorace, un morceau de viande ? Être dégradé, massacré, est-ce là l'essentiel de l'humanité, dont l'histoire a confirmé l'inévitabilité ? ».
Un chapitre, enfin poétique, dans ce grand déballage « On dit que la lune et la prunelle de la nuit ».
L'épilogue revient sur diverses scènes du livre, en particulier sur cette junte militaire, qui a souvent combattu lors de la guerre de Corée tout d'abord, puis au Vietnam, avec cette haine inculquée du « rouge ». Alors que les manifestations du peuple et des étudiants n'étaient en fait dirigées que contre l'absence de démocratie et la corruption qui gangrenaient le pouvoir. C'est un peu l'histoire de Han Kang, qui avait 9 ans lors des manifestations, et qui découvre 3 ans plus tard, caché dans un album photo de famille le portrait de Tongho, jeune garçon, fils des anciens propriétaires de leur maison. Elle découvre peu à peu toute l'histoire des répressions. « J'ai découvert le visage d'une fillette défigurée après avoir été profondément labouré par une baïonnette. Sans bruit et sans bruit, quelque chose de tendre au plus profond de moi s'est brisé. Quelque chose dont, jusque-là, je n'avais pas réalisé l'existence ». Croyant que l'album recelait les réponses à ces exactions, elle réalise alors qu'il ne contient que des questions. « À ce moment-là, j'ai compris à quoi servait tout cela. Les mots que ces tortures et cette famine étaient censés susciter. Nous vous ferons comprendre à quel point c'était ridicule, vous tous brandissant le drapeau national et chantant l'hymne national. Nous allons vous prouver que vous n'êtes que des corps crasseux et puants. Que vous ne valez pas mieux que les carcasses d'animaux affamés ». le lecteur réalise aussi qu'il a fallu une trentaine d'années pour arriver à écrire sur ces évènements.
Il est aussi significatif que le titre anglais de « Celui qui Revient » (traduction littérale de Sonyeon-i Onda ) est « Human Acts », toute la barbarie de l'homme, que ce soit en Corée, en Bosnie ou à Auschwitz, où Han Kang est allée depuis. Il est vrai que la traductrice anglaise du livre Deborah Smith s'explique sur ce titre, finalement préféré à « Gwangjiu Elegy ». le livre ne donne pas de réponse ou ne porte aucun jugement moral sur les actes. On comprend mieux, après la lecture de « Celui qui Revient » les rêves de barbarie qui ouvrent « La Végétarienne » (écrit 7 ans avant) ou sa préférence pour le bouddhisme. C'est une excellente initiative que de ressortir ces deux livres simultanément.

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