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Critique de JustAWord


Deux ans plus tôt, les éditions Fluide Glacial traduisaient pour la première fois un auteur turc tout à fait génial : Ersin Karabulut.
Au travers des contes aussi inventifs que glaçants, l'auteur-dessinateur croquait à la fois les terreurs de la Turquie moderne mais aussi les travers de notre société occidentale.
Avec Jusqu'ici tout allait bien…, Ersin Karabulut récidive et nous offre 9 histoires supplémentaires avec la plume corrosive et le coup de crayon génial qu'on lui connaissait déjà depuis Contes ordinaires d'une société résignée.

Si ce nouvel opus prolonge de façon aussi magistrale l'expérience de son prédécesseur, c'est parce que les métaphores sociales, religieuses et politiques de son auteur s'avèrent toujours aussi inventives et saisissantes.
Prenons par exemple L'Âge de pierre où tout le monde se doit de trimbaler une pierre dès son plus jeune âge avec l'interdiction formelle de la lâcher, même une seconde. Pourquoi ? Parce que !
Derrière cette règle d'or, un poids social/religieux et même politique et… des gens qui doutent. Comme cette petite fille qui s'interroge sur la possibilité de poser sa pierre et qui finit…par le faire ! Racontée par son frère, l'histoire de la gamine n'en devient que plus cruelle car le lecteur, observateur extérieur, se rend compte de l'inanité de la chose… mais pas le narrateur. À la fois terrifiante et porteuse d'espoir, ce premier conte confirme qu'Ersin Karabulut n'a rien perdu de sa capacité contestataire.

Pourtant, Ersin Karabulut n'est pas qu'un auteur politique, c'est aussi un écrivain de l'intime comme lorsqu'il s'aventure dans La Chambre Secrète où l'on cache son histoire à l'autre pour se conformer à une sorte de personnage que l'on s'est inventé pour survivre en société ou face à sa moitié. Même chose avec Histoire pour enfants où l'ouverture aux autres change de fond en comble la personne et l'éloigne de ses vieux démons et de ses sales habitudes, offrant une nouvelle dimension au monde extérieur.
Au sein du monde fantastique et science-fictif d'Ersin Karabulut, il reste toujours quelque chose de socio-politique. Dans Dot, c'est la victoire d'une multinationale devenue gouvernement planétaire grâce au consumérisme et par le reconditionnement de ceux qui refusent encore de plier. Dans le Monde d'Ali, le virus lâché pour éradiquer les conservateurs en les transformant en migrant devient un nouveau signe de ralliement pour l'émergence d'une nouvelle haine (il ne suffit que d'un prétexte…). Et dans Sans Gravité, tout a été privatisé. TOUT. Même l'oxygène, même votre pesanteur. Derrière, l'état tire les ficelles et exploite, les multinationales ricanent et le consommateur passe à la caisse.

Il reste quelques contes plus énigmatiques dans Jusqu'ici tout allait bien… comme cet enfant qui grandit dans le corps de sa mère et finit par prendre sa place, sorte de syndrome de Tanguy poussé à l'extrême et qui met aussi mal à l'aise qu'il fait sourire. Ou cette autre histoire d'identité lorsque père et fils se confondent et que l'on ne sait plus qui est qui… jusqu'à ce que l'impensable se produise. Reste alors la dimension religieuse qui tourne à la satire ricanante dans Pile ou Face dans laquelle deux potes se retrouvent l'un en Enfer et l'autre au Paradis. Mais croyez-le ou non, ce n'est pas l'endroit que l'on pense qui s'avère le plus agréable et le plus humain. Toujours là où on ne l'attend pas, Ersin Karabulut détonne et étonne… et c'est certainement pour ça qu'on l'aime tant.

Nouvelle fournée jubilatoire et audacieuse de la part du décidément génial Ersin Karabulut, Jusqu'ici tout allait bien… mêle politique, intime et social à travers des histoires fantastiques et science-fictives tous plus étranges les unes que les autres. Savoureux et perturbant.
Lien : https://justaword.fr/jusquic..
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