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Critique de Kirzy


Kirzy
11 février 2024
Sacré roman, et ce dès les premières pages : 1989, le photographe sri lankais Maali Almeida se réveille dans un Au-delà bureaucratique et surpeuplé. Il n'a aucun souvenir de sa mort, mais il a sept lunes pour errer dans cet Entre-deux. Après, la porte de la Lumière ( le paradis de l'oubli ) se refermera pour toujours. Maali Almeida ne veut pas oublier, pas encore. Il a donc sept lunes pour découvrir qui l'a tué et pourquoi, sept lunes pour guider ses amis vers une série de photographies qui selon lui pourraient changer le cours des choses.

Le rythme est trépidant, la course folle dans Colombo étourdissante même tellement le roman est peuplé de mille fantômes, goules et démons, de vivants aussi qui ont croisé la route du photographe; tellement l'histoire de la guerre civile sri lankaise démarrée en 1983 est inextricablement compliquée avec toutes ses factions adverses pour lesquelles Maali Almeida travaillé : les nationalistes cinghalais de l'UNP au pouvoir, les Tigres tamouls des LTTE, les communistes du JVP, les forces spéciales du gouvernement, les Forces indiennes de l'ONU, tous pourris, tous capables des pires exactions et crimes, tous potentiellement capables d'avoir fait assassiner Maali.

Il m'a fallu un peu de temps pour me poser sur cette intrigue fort touffue, mais j'y suis arrivée, quelque peu aidée par le recensement inaugural qui liste tous les personnages, absolument nécessaire. Je suis allée également m'informer sur la guerre civile sri lankaise ( achevée en 2009 ) pour mieux appréhender ma lecture. Sans cela, je pense que j'aurais vraiment galéré.

Pour apprécier cette lecture, il faut donc un petit coup de pouce et surtout accepter de ne pas tout comprendre ( les références au folklore et mythes sri lankais sont nombreuses ) pour se laisser porter par la verve virtuose et généreuse de l'auteur.

Derrière chaque page, on sent la puissance narrative de Shehan Karunatilaka, à commencer par son choix d'un narrateur à la deuxième personne. Maali Almeida est mort. Son « tu » qui s'adresse à lui-même incarne parfaitement le son d'une voix sans corps, une voix survivante qui chuchote à l'oreille de son mort, comme si Maali Almeida doutait lui-même que c'était sa propre voix qui parlait pour l'accompagner dans sa quête de vérité.

Lorsqu'on a recours au réalisme magique, il faut l'assumer jusqu'au bout, sinon cela a un goût de gadget épate bourgeois qui ne sert à rien. Ici l'auteur joue la carte à fond. Il a réussi à créer un monde cohérent oscillant entre le surréalisme de cet Entre-deux ( dans lesquels les fantômes se déplacent à volonté grâce à des courants d'air qui les conduisent dans n'importe quels lieux qu'ils ont fréquenté de leur vivant ) et un Sri Lanka réel absolument terrifiant.

Le ton est à un humour noir sardonique qui côtoie le grotesque comme la tragédie. C'est sale et mordant mais jamais gratuit. Car cette farce irrévérencieuse confronte le lecteur à la terrifiante et absurde réalité de la guerre civile sri lankaise, ses escadrons de la mort, ses acteurs dégueulasses, ses attentats, assassinats, exécutions sommaires, tortures, enfants sacrifiés. Certaines scènes sont mémorables comme celles mettant un marche une armée de fantômes vengeurs haranguée par une goule marxiste.

La lecture est parfois un peu longue pour absorber le flux bouillonnant d'informations, mais jamais ennuyeuse, portée par une écriture inventive extrêmement séduisante d'un auteur dont on sent à quel point il juge important de ne surtout pas céder à l'amnésie collective maintenant que la guerre civile est finie. Et si l'on permettait aux 100.000 morts de la guerre civile de parler ? Chiche semble dire Shehan Karunatilaka.
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