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Citations sur Mariées rebelles (15)

MA PETITE LUMIÈRE DISPARUE, JE ME SUIS ASSISE DANS L’OBSCURITÉ

Ma petite lumière disparue, je me suis assise dans l'obscurité un long moment. Cette obscurité était festonnée de cendres
et n'avait aucun goût et faisait le bruit
de cette neige parasite flottant à la radio
entre deux stations : ma petite lumière
et cette obscurité.

J'ai passé toute la nuit dans l'obscurité et le matin
s'est déroulé plus obscur que le plus obscur
des placards ou des celliers si ce n'est
qu'à présent des champignons miséricordieux (chapeaux noirs et laiteux sous la langue)
sont venus au monde
et leurs milliers de voix ont fait claquer les parasites
comme le cercle d'une corde à sauter claque entre
deux petites filles aux cheveux blancs.

La rue est revenue plus obscure encore
mais mes yeux commençaient à s'habituer.
Et la mousse a poussé sur ma chaussure
et j'ai vu dans l'obscurité
beaucoup de choses peuvent exister. Un ver
chantait sous la terre comme le souffle
d'une clarinette. De la fourrure
a effleuré ma cheville, et je pouvais reconnaître le goût
d'une huitre boueuse se former dans les ombres.

Le lendemain s'est passé dans l'obscurité, une obscurité
comme le cœur d'un mur dans une maison à soi
où le termite mâchonne aveuglément
et se terre mais pour moi
elle n'était qu'un clair-obscur. Je
m'y était habituée.
Elle me connaissait. J'étais
connue parmi des choses connues :

les souris affolées qui s'agitent entre
les serres de la chouette, les poissons
qui clignotent entre les pierres glissantes -
surtout les pierres qui
n'aiment rien qui
ne croient en strictement rien.

Quand la nuit liquide est retombée, je
n'avais jamais été aussi heureuse de ma vie. Ma peau
s'est mise à se mouvoir
par les yeux perlés des mouches
et mes cheveux étaient couturés de noir
et d'humidité, et les rats noirs proliféraient
et y nichaient en paix.

Je voyais désormais que la nuit
était peuplée d'autres, et leur corps cireux
luisait et illuminait l'obscurité. Désormais
j'y voyais assez bien y compris
dans les recoins moisis où
le diable souriait.

Et il s'est incliné devant moi comme si
j'étais la reine de tout ceci suprême
parmi les autres qui avaient vieilli ici
dans cette humidité d'escargots grouillants. Désormais
les sangsues chantaient
ivres de mon sang,
et les rats ont commencé à grignoter
un trou au cœur
de l'endroit où un jour
s'était trouvé ma petite lumière.

Le diable s'est agenouillé pour m'embrasser les genoux.
Cela nous fait si plaisir de te voir, a-t-il dit,
si jeune, tu n'aura aucun mal
à t'adapter et dans
l'obscurité grandissante j'ai vu
que je n'était qu'une fille une jeune fille
attachée à une chaise une jeune fille
vêtue d'un simple uniforme (ma mère
avait cousu l'ourlet elle-même
et le fil dansait recourbé
sur mes cuisses) je pouvais lire
mon nom sur la poche. Il a souri

Il m'a fait déplier les jambes puis écarter les genoux
et la langue du diable était froide
et affutée et la douleur
et le déshonneur que j'en éprouvais ont écimé
le sommet de l'obscurité.

J'étais une enfant. J'avais des devoirs
à faire. Ma clarinette pleurait de bave
dans son étui. Les poupées
étouffaient dans la maison de poupées. Quand
il est remonté
d'entre mes cuisses, une fois de plus
il a souri (était-il gentil ?
est-ce possible ? était-il seulement timide ?)

Moi, j'étais silencieuse je devenais
l'un des nombreux secrets du diable l'un
des nombreux jouets du diable
alors je suis retourné me noyer sous l'obscurité,
la fille parfaite de ses parents, une élève enthousiaste
qui avait appris à transformer
l'angoisse en plaisir appris
que beaucoup de choses peuvent exister non sans déplaisir
dans l'obscurité, et quand
j'ai ouvert les yeux j'ai vu :

une fille sans âme flottant
dans un uniforme sans accroc jouant
d'une clarinette impeccable. Elle
s'était elle-même réinventée souriante
hors de l'obscurité, l'obscurité aussi chaleureuse
et heureuse qu'une maisonnée en enfer.

(P61-68)

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En tirant les draps du lit
lors de ma nuit de noces j'y ai découvert
des mariées rebelles, en
sueur et délirantes. Jusque là j'avais cru
que ma vie deviendrait
une poutre d'équilibre
et que je m'efforcerais de marcher dessus, à jamais,
comme une épouse. J'avais tort.
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le diable sort au chant du corbeau :

La première nuit à tire-d'aile, nous avons pris notre envol.
Tout juste sortis de l'enfer, nous avons niché
dans l'arbre à lunes
parce que l'arbre de vie
était chargé de citrons
et que l'arbre de mort
avait blanchi sous les cocons laiteux des anges.
Nous avons secoué l'arbre et les lunes
sont tombées à côté des crânes de mastodontes,
éraflées et abrasées par le sable.

P.77
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Conseils de marraine

Ma chérie, le monde
et tout ce qu'il contient
et l'arrière qui bascule en avant
dans les moments cruciaux et le fruit bleu
qui nous consume : Tout

n'est par ailleurs qu'un néant à venir
où les branches noircissent les arbres
comme en hiver et l'hiver d'un coup le printemps :
Les hommes seront en colère, et
les calculs biliaires

mais ne pleure pas : Cherche
les présages dans le ronron monotone -
tout ce qui arrive quand nous
sommes proches de nous détendre, et que les pourceaux
ronflent porcinement dans leur seau :

Essaye de rester en vie jusqu'à ta mort.
Une nuit tu te retrouveras
à chanter dans ta voiture
dans une rue loin de chez toi
radio allumée, les yeux fatigués :

Soudain la rue est une rivière de glace
et tu fais des tonneaux sur les deux voies et apprends
les lois physiques suivantes :
Les arbres ont une bonne raison de tous
pousser dans le sens du vent, et une bille de billard roulera

exactement à la même vitesse que la bille
la heurtant par l'arrière : Le choc
et la rotation des billes dans le noir
et un camion qui tourbillonne vers toi
et le pare-brise qui t'embrassera

et le rire, et les applaudissements. Souviens-toi :
Le monde est vulgaire comme tout ce qu'il contient :
Le sucre du melon
et la vie comme un fumet de tourte à la viande.
Tu en réclameras

toujours plus : La pendule
tonnera dans la salle d'attente
pendant que le porteur de cercueil titube dans ses chaussures
et que tu sortiras hébétée
et mort-née dans la rue.

(P53-54)
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Rosier

J'ai déterré mon grand-père par accident
en plantant le rosier derrière l'appentis

Ses cheveux enterrés de longue date sont aussi doux et blancs
qu'une toile d'araignée, et l'araignée est argentée
et elle la tisse la tisse
et en se relevant, il me dit : Bon
je n'ai pas beaucoup de temps pour t'expliquer, ma chérie
alors il faudra que tu organises tout
toute seule Assure-toi de trouver une place
pour chacun de nous

Mon grand-père me parle gentiment depuis le mort
et les mots sont si étincelants qu'ils volent
autour de sa tête comme une pluie
d'oiseaux éblouissants et je suis soulagée de voir
que cette modeste tombe
ait pu comprimer toute cette douleur en lumière d'étoiles
dans mon propre jardin où un beau jour mes enfants
pourront entailler ce chagrin
à coup de burins et de piques
et le faire briller et le brandir à la lumière
du soleil pour voir clairement la douleur dans la mort
comme je n'ai jamais pu la voir dans la vie Les enfants
voici l'endroit

où votre arrière-grand-père
s'est changé en cendre de verre C'était un homme
qui pleurait des larmes étincelantes
qui sa vie durant a bu
et pour qui le tourment se sirotait pur

C'était un homme gentil qui détestait les enfants
mais aimait les victimes et savait
quelles chais palper parmi les plus tendres
et les abîmés de la vie le connaissaient à des kilomètres à la ronde
et l'appelaient par son nom

Mais voyez sa souffrance s'est changée
en une poussière d'étincelles si fine qu'elle choque le regard
La mort doit finalement lui convenir
La mort doit énormément lui plaire

Il dit : Bon
Assures-toi de prévoir largement pour les uns et les autres
et n'aie pas peur nous serons rentrés lundi
et personne ne saura jamais que nous sommes partis

Je délire de joie comme un enfant fiévreux
et me rend compte qu'il est la source
de toute musique de toute la musique
que ma vie a créée de lui émane un chœur aveuglant
et je pleure enfin à genoux
dans la terre les bras chargés d'épines je
suis prête à le suivre n'importe où prête
à emmener tout le monde avec moi

Mais quand vient le jour (car il vient)
je ne suis plus si sûre je
ne suis plus si sûre d'être
prête à partir

(P103-106)
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LE CYCLONE
J’avais seize ans et crois
tomber amoureuse d’un garçon
qui apprend à jouer de la guitare électrique.
Des heures et des heures
s’écoulent dans son sous-sol
dans le bruit confus qu’il produit.
Je suis assise sur un vieux canapé
et l’observe
jusqu’à n’entendre
qu’un mouvement palpitant autour de ma tête
comme un bain très chaud et bouillonnant.
Il s’arrête le temps d’un instant
et ma tête vide pousse un hurlement
le tangage apaisant d’un train
qui tourne et me tourne autour très vite
jusqu’à ce que finalement je sois projetée
hébétée par un vent tempétueux, à des années de là
dans l’avenir. Le monde
est en technicolor et tourbillonne
et soudain je suis
la mère du garçon qui apprend
à jouer de la guitare électrique.
Dehors il fait beau, c’est l’été, un samedi
et il a passé toute la journée en bas avec une jeune fille.
Les accords tendus, le crescendo sans fin,
le raffut de la musique et du mouvement
soulèvent la maison
dans les airs, envoient
la déflagration sonore quand sont abattus
les murs du son,
la locomotion ascendante
du dîner à préparer, de l’amour à faire, du réveil
tous les jours après jour après jour, le grondement
d’un quai dans le passé
de mes seize ans
dans l’attente d’un train
alors qu’en bas dans la rue
une vieille femme sourde
plante des choux derrière une remise.
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VINGT-NEUVIÈME ANNIVERSAIRE


Extrait 1

Je m’aperçois soudain
que je porte le corps de ma mère
depuis longtemps déjà. Il lui
appartient tout entier, ici où la peau
est la plus douce et là
où elle affiche une moue dégoûtée — chaque
centimètre. Ces mêmes clous qui lui ont
démoli le corps
m’en ont fabriqué un à l’identique
et je l’ai porté
comme une maison terrible
sans avoir jamais rien remarqué — tout est
à elle, sauf ce grain de beauté sur mon bras — celui-ci
appartenait à la mère de mon père
et il m’a été transmis

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[...] C'était un homme
qui pleurait des larmes étincelantes
qui sa vie durant a bu
et pour qui le tourment se sirotait pur
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Une nuit tu te retrouveras
à chanter dans ta voiture
dans une rue loin de chez toi
radio allumée, les yeux fatigués
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Mais les chagrins odieux des mortels, personne n'a trouvé le moyen de les apaiser grâce à la musique et aux mille inflexions du chant: ils sont pourtant à l'origine des meurtres et des terribles infortunes qui renversent les maisons.
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