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Critique de mariecesttout


A son retour de captivité, Jean Paul Kauffmann s'est mis en quête d'un lieu.
Pendant trois années, il avait été détenu, enchaîné, plongé dans l'obscurité et confronté à la «stupidité» de ses geôliers. En recouvrant la liberté, l'aveuglante lumière de la liberté, il savait que plus jamais il ne pourrait reprendre le cours normal de sa vie d'avant, ni son métier de journaliste, ni ses virées en Sologne. Il lui fallait renaître autrement et ailleurs.

"Les Landes, la campagne normande ou les îles Fortunées: il fallait bien se poser quelque part. Je n'ai pas choisi la maison dans la forêt. Elle s'est proposée à moi par défaut, à une époque confuse de mon existence. Choix hâtif auquel je suis lié à jamais."

Après avoir sillonné le Bordelais, l'amateur de grands vins a jeté son dévolu sur les Tilleuls, une bâtisse abandonnée au coeur de la forêt des Landes, dont il a appris qu'elle avait été, pendant l'Occupation, un bordel pour SS.
Avec, pour complices diurnes, Castor et Pollux, deux ouvriers chargés de restaurer ce qui manquait de s'écrouler et, le soir venu, pour unique lecture, « les Géorgiques », de Virgile, Jean-Paul Kauffmann va réapprendre. le métier de vivre...

C'est un livre magnifique, où l'on ne perçoit jamais l'once d'un auto-apitoiement. Il parle de la nature environnante, de la rénovation d'une bâtisse abandonnée en parallèle à sa propre renaissance, de ce que les livres lui ont apporté en captivité et, comme tout humain qui a été longuement privé de tout, il redécouvre l'émerveillement devant un arbre, la pluie, etc.

J'ai choisi deux extraits, assez longs, mais j'aime ce livre!

"L'airial a belle allure, mais à quel prix? La terre des Landes me désespère. Ce matin, j'ai arrosé, constatant comme à chaque fois que le sable mat laissait passer l'eau sans la fixer. le lessivage creuse un peu plus la surface, formant de petites vallées bien nettoyées aux échancrures blanchies par le rinçage. La terre des Tilleuls est ingrate. On a beau y déverser de l'humus, de la tourbe, du fumier, le sable finit toujours par réapparaître . a tout ce qu'il touche, il transmet sa nature pulvérulente
Ce sable qui resurgit, je le compare volontiers à ma condition, à ce passé qui ne cesse de remonter à la surface. Il métamorphose tout sur son passage, exerçant sur moi un pouvoir absolu. de ce passé qui a pu me montrer ma vulnérabilité, je me suis servi comme d'un tremplin. L'histoire des deux souris qui tombent dans une jatte de lait m'enchante. La première crie " Au secours" et se noie. La deuxième bat tellement des pattes qu'elle se retrouve sur une motte de beurre.
Reprendre une vie normale, il n'en était pas question. Dès mon retour, je me suis empressé d'adopter aux Tilleuls une existence résolument anormale. C'est probablement ce qui m'a sauvé. Une fois libéré, j'ai vite compris qu'il me serait impossible de renouer avec la vie d'antan.
Pour l'occasion, j'avais inventé le syndrome de Luis de Leon, du nom de ce théologien fameux de Salamanque qui fut arrêté au beau milieu de son cours par le tribunal de l'Inquisition . Torturé puis condamné, Leon passa une dizaine d'années en prison. Libéré, il reprit son enseignement à l'université, à l'endroit même où il l'avait abandonné en disant :" Comme je vous le disais hier", voulant signifier par là qu'il évacuait ces années terribles.

Tout invite l'ancien reclus et ses proches à se reporter à la période d'avant, à recommencer comme si de rien n'était. Je répugne à ma prévaloir de mon malheur passé. Je ne l'oublie pas pour autant. Je lui suis absolument fidèle: " Je ne veux pas qu'on m'intègre". Cette phrase d'un héros de Sartre est la mienne. Dans quel monde suis-je? J'ai pu m'échapper de l'autre rive, mais une chose est sûre: je ne serai jamais d'ici. ....
.... Réussir son retour est pour le rescapé presque aussi difficile que de tenir pendant l'épreuve. Dans le trou,il résiste. Il n'a pas le choix. Hors du trou, il a le choix, tous les choix. Il est maître du jeu. Problème de taille: le jeu est trop ouvert, béant pour celui qui vient de s'extraire d'une existence réduite à sa plus simple expression. par où commencer? C'est là que les ennuis commencent. Mais ce ne sont que des ennuis, pas des tragédies."




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