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EAN : 9782841113088
306 pages
Editions Nil (15/01/2007)
3.92/5   224 notes
Résumé :
"Les Landes, la campagne normande ou les îles Fortunées : il fallait bien se poser quelque part. Je n'ai pas choisi la maison dans la forêt. Elle s'est proposée à moi, par défaut, à une époque confuse de mon existence. Choix hâtif auquel je suis lié à jamais."

Détenu au Liban pendant trois ans, le narrateur choisit après sa libération de s'installer au cœur de la forêt landaise. Deux maçons taciturnes restaurent la maison. Il campe au milieu du chanti... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (47) Voir plus Ajouter une critique
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sur 224 notes
A son retour de captivité, Jean Paul Kauffmann s'est mis en quête d'un lieu.
Pendant trois années, il avait été détenu, enchaîné, plongé dans l'obscurité et confronté à la «stupidité» de ses geôliers. En recouvrant la liberté, l'aveuglante lumière de la liberté, il savait que plus jamais il ne pourrait reprendre le cours normal de sa vie d'avant, ni son métier de journaliste, ni ses virées en Sologne. Il lui fallait renaître autrement et ailleurs.

"Les Landes, la campagne normande ou les îles Fortunées: il fallait bien se poser quelque part. Je n'ai pas choisi la maison dans la forêt. Elle s'est proposée à moi par défaut, à une époque confuse de mon existence. Choix hâtif auquel je suis lié à jamais."

Après avoir sillonné le Bordelais, l'amateur de grands vins a jeté son dévolu sur les Tilleuls, une bâtisse abandonnée au coeur de la forêt des Landes, dont il a appris qu'elle avait été, pendant l'Occupation, un bordel pour SS.
Avec, pour complices diurnes, Castor et Pollux, deux ouvriers chargés de restaurer ce qui manquait de s'écrouler et, le soir venu, pour unique lecture, « les Géorgiques », de Virgile, Jean-Paul Kauffmann va réapprendre. le métier de vivre...

C'est un livre magnifique, où l'on ne perçoit jamais l'once d'un auto-apitoiement. Il parle de la nature environnante, de la rénovation d'une bâtisse abandonnée en parallèle à sa propre renaissance, de ce que les livres lui ont apporté en captivité et, comme tout humain qui a été longuement privé de tout, il redécouvre l'émerveillement devant un arbre, la pluie, etc.

J'ai choisi deux extraits, assez longs, mais j'aime ce livre!

"L'airial a belle allure, mais à quel prix? La terre des Landes me désespère. Ce matin, j'ai arrosé, constatant comme à chaque fois que le sable mat laissait passer l'eau sans la fixer. le lessivage creuse un peu plus la surface, formant de petites vallées bien nettoyées aux échancrures blanchies par le rinçage. La terre des Tilleuls est ingrate. On a beau y déverser de l'humus, de la tourbe, du fumier, le sable finit toujours par réapparaître . a tout ce qu'il touche, il transmet sa nature pulvérulente
Ce sable qui resurgit, je le compare volontiers à ma condition, à ce passé qui ne cesse de remonter à la surface. Il métamorphose tout sur son passage, exerçant sur moi un pouvoir absolu. de ce passé qui a pu me montrer ma vulnérabilité, je me suis servi comme d'un tremplin. L'histoire des deux souris qui tombent dans une jatte de lait m'enchante. La première crie " Au secours" et se noie. La deuxième bat tellement des pattes qu'elle se retrouve sur une motte de beurre.
Reprendre une vie normale, il n'en était pas question. Dès mon retour, je me suis empressé d'adopter aux Tilleuls une existence résolument anormale. C'est probablement ce qui m'a sauvé. Une fois libéré, j'ai vite compris qu'il me serait impossible de renouer avec la vie d'antan.
Pour l'occasion, j'avais inventé le syndrome de Luis de Leon, du nom de ce théologien fameux de Salamanque qui fut arrêté au beau milieu de son cours par le tribunal de l'Inquisition . Torturé puis condamné, Leon passa une dizaine d'années en prison. Libéré, il reprit son enseignement à l'université, à l'endroit même où il l'avait abandonné en disant :" Comme je vous le disais hier", voulant signifier par là qu'il évacuait ces années terribles.

Tout invite l'ancien reclus et ses proches à se reporter à la période d'avant, à recommencer comme si de rien n'était. Je répugne à ma prévaloir de mon malheur passé. Je ne l'oublie pas pour autant. Je lui suis absolument fidèle: " Je ne veux pas qu'on m'intègre". Cette phrase d'un héros de Sartre est la mienne. Dans quel monde suis-je? J'ai pu m'échapper de l'autre rive, mais une chose est sûre: je ne serai jamais d'ici. ....
.... Réussir son retour est pour le rescapé presque aussi difficile que de tenir pendant l'épreuve. Dans le trou,il résiste. Il n'a pas le choix. Hors du trou, il a le choix, tous les choix. Il est maître du jeu. Problème de taille: le jeu est trop ouvert, béant pour celui qui vient de s'extraire d'une existence réduite à sa plus simple expression. par où commencer? C'est là que les ennuis commencent. Mais ce ne sont que des ennuis, pas des tragédies."




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Voilà un auteur que j'ai lu à cause d'un article concernant son périple au long de la Marne, donc un autre de ses livres, en fait. Je connaissais l'homme me rappelant le compte des jours de détention, quotidiennement, quand j'étais plus jeune mais l'écrivain, j'étais passée sans le voir.
J'ai emprunté le titre disponible à la bibliothèque et c'était celui-ci.


Après son retour du Liban, plus rien des sa vie ne peut ou ne doit reprendre le cours à l'identique de "l'avant". Il décide d'acheter une maison, dans une "nouvelle" région et c'est, en fait , une rencontre qu'il va faire. Lui, l'homme au passé "abimé" va tomber sous le charme d'une maison au passé "trouble" que personne ne voulait habiter et qui l'attendait, on pourrait presque le penser.

Et c'est le partage d'un retour à la vie, celui d'une maison maudite et celui de cet homme qui décide de camper au milieu des travaux et qui restaure son âme au rythme de la restauration des murs de la bâtisse. La maison et les jardins lui permettent de se réadapter au quotidien, tout comme un livre classique, trouvé, abandonné là, qui le fait s'interroger sur la force de la lecture dans une vie.

Les pages sur la nature sont très belles, très "observatrices", il parle très bien des arbres et des animaux, et eux, à leur façon, vont lui faire reprendre la cadence des saisons.



J'ai vraiment beaucoup aimé, c'est plein d'érudition qu'il partage simplement, et on ne peut être qu'admiratif devant la force de caractère qui l'habite.
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Je fais partie de la génération qui a vu pendant trois longues années l'annonce à la TV du nombre de jours de détention de ceux qu'on appelait "les otages du Liban". Et c'est toujours avec beaucoup d'émotion que je revois l'image de leur arrivée à Paris le 5 mai 1988. Jean-Paul Kauffmann est hagard, amaigri, sans ses lunettes, et surtout sans Michel Seurat mort en captivité. Vous me direz qu'être otage ne fait pas forcément de vous un bon écrivain, mais Kauffmann est quelqu'un qui a un vrai style. On l'a vu dans les très beaux "La chambre noire de Longwood" (le récit de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène) et "L'Arche des Kerguelen". Dans "La maison du retour" il raconte l'origine de cette vocation d'écrivain (au départ il était journaliste).


Au retour de sa captivité, il ne se sent pas capable de reprendre le cours normal de sa vie à Paris, il a besoin d'une sorte de sas pour réapprendre à vivre. Il décide d'acheter une maison, plutôt dans la région de Bordeaux en bon amateur de vin qu'il est. Mais c'est pour une maison perdue dans les Landes qu'il aura le coup de foudre. Et là, pendant de longs mois il va cohabiter avec les deux ouvriers qui restaurent la batisse, découvrant cette nature landaise un peu sauvage, comme lui. Cette parenthèse lui sera nécessaire pour retrouver la notion de temps, les saisons, la nature qui se met en sommeil puis revit. Pour toute lecture "les Georgiques" de Virgile et pour toute musique, un disque de Haydn. La radio des maçons lui donne quelques nouvelles de l'extérieur.


J'ai lu ce livre d'une traite, complètement immergée dans cette solitude au milieu des pins, avec quelqu'un à la redécouverte de la vie. L'humour n'est pas absent de ce récit, au contraire avec les descriptions des deux maçons énigmatiques, de l'agent immobilier insaisissable, de l'architecte pressé et des voisins qui lui donnent des conseils pour son "airial" (clairière enserrée dans une vaste pinède). Dix-huit ans après, il peut enfin revenir sur sa captivité mais sans insister, en choisissant de ne conserver que l'amour de la vie qu'il a retrouvé sans doute un peu grâce à cette maison.

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Après son retour du Liban où il a été retenu comme otage pendant 3 ans, Jean-Paul Kaufmann cherche un endroit "à lui" et jette son dévolu sur une vieille maison dans les Landes qu'il fait retaper. Pendant toute la durée des travaux, il campe dans cette maison et s'approprie les lieux...

Je suis tombée par hasard sur ce livre que j'ai subtilisé dans la bibliothèque d'une amie et dont je ne me souvenais plus que je l'avais. J'ai failli lui rendre sa liberté mais le résumé de la 4e de couverture m'a donné envie d'en savoir un peu plus et grand bien m'en a pris. J'ai traversé ce roman dans un état d'émerveillement permanent, bercée par les phrases limpides de cet homme qui ré-apprend la liberté et qui adopte un nouveau nid, pourtant pas facile au milieu d'une jungle d'arbres qui l'isolent encore plus du monde extérieur. Les liens que tisse l'auteur avec cette maison et la nature qui l'environne sont très touchants, toujours pleins de sensibilité et merveilleusement desservis par une langue magnifique, une richesse de vocabulaire qu'on ne rencontre hélas plus si souvent dans la littérature contemporaine (et sans que jamais, ça ne produise un effet ennuyeux ou pompeux). Je voyais arriver la fin du roman avec détresse, je ne voulais pas quitter cet univers et ces réflexions sur le monde, la nature ou l'humanité. La conclusion est assez longue, ce qui m'a permis une séparation en douceur mais vraiment, quel excellent moment de lecture. Merci M. Kaufmann.
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Jules Supervielle, poète attentif et fabuleux, est mis en exergue du récit de Jean-Paul Kauffmann, « La maison du retour » et telle une ancienne clé soulevant un loquet longtemps bloqué, la citation ouvre sur une réincarnation pimentée de mélancolie : « C'était le temps inoubliable où nous étions sur la Terre ». Dès lors, la fragrance est tenace et persiste à mesure que Jean-Paul Kauffmann se démène pour trouver une maison dans les Landes au tout début des années quatre-vingt-dix. La limpidité de l'histoire et la fluidité de l'écriture (précise, légère, presque pétillante) coulent sur un lit de ténèbres. Sous le propos badin et le ton ironique couvent des souvenirs douloureux évoqués avec pudeur : « …j'avais connu l'âge de fer : trois années fantômes. J'aspirais à la paix, à la substance et à la fluidité des choses ». La maison rêvée va s'imposer, sertie dans la démesure des pinèdes sans limite. C'est presque par effraction que l'auteur s'immisce tout au début dans l'intimité de la maison longuement délaissée. Il surprend : « l'âme secrète d'une maison qui essaie de ne pas sombrer. J'imagine l'effort que représente ce refus de disparaître. Il y a de l'indécence à observer une telle obstination ». L'auteur campe au premier étage alors que les deux maçons rénovent le rez-de-chaussée. Soucieux d'assister, par sa présence « augurale », à la résurrection de la vieille demeure, Jean-Paul Kauffmann sent, par osmose, les choses se mettre en place. L'airial, cette clairière gazonnée entourant la maison landaise, non clôturée et plantée de grands arbres est perçu de façon subtile, notamment à travers l'odorat. La maison et l'homme sont en connivence et en convalescence. Ils reviennent lentement à la vie. Jean-Paul Kauffmann connaît le dénuement et la précarité de la vie. L'instant présent est savamment distillé et savouré : « Je sens une pression qui monte lentement de la terre pour atteindre l'être profond, lui donner de la saveur puis disparaître. » L'homme passe du dedans, en chantier, au dehors, en friche. L'arbre supplante le livre : « …je préférais finalement les arbres aux livres… J'aimais évidemment les lire. Je les aimais d'une effusion tendre et raffinée, un amour courtois, platonique. Pour tout dire inattentif. » Bien qu'il ait perdu son « savoir-lire », il lit toujours avec ferveur de la poésie. Son livre autobiographique est moelleux. Ses mots sont emplis de pulpe. L'écriture est chargée de sens mais délestée de toute emphase et de tout pathos. Certaines phrases pourraient paraître sentencieuses au premier abord alors qu'elles expriment de manière ramassée une pensée claire et complexe. La thématique de la solitude et de l'enfermement est omniprésente dans ses livres (L'arche des Kerguelen, La chambre noire de Longwood). Il est difficile de ne pas être touché en profondeur par un livre de Jean-Paul Kauffmann.
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Citations et extraits (73) Voir plus Ajouter une citation
Cette maison m'a-t-elle guéri ? Je pense qu'elle m'a simplement décontaminé, débarrassé de mauvais ferments tels que le ressentiment, la soif de vengeance, la passivité, le goût de la dévastation, sans parler de cet esprit de lassitude qui a envahi le siècle. Cette maison m'a défripé le cerveau...

   Aux Tilleuls j'ai retrouvé ma mémoire sensitive. Tout prisonnier est un prisonnier de la perception. Il est étroitement enfermé dans un univers sensoriel qui le tourmente sans cesse et avive le sentiment de sa condition. Impossible de s'extraire de la tache de moisissure sur le mur. Elle devient  un motif si obsédant que cet assujettissement ne laisse aucun répit à l'esprit. Il est esclave du moindre son qu'il lui faut identifier à tout prix. Les miasmes si caractéristiques de la prison s'imposent tyranniquement à son odorat et l'isolent un peu plus - l'olfactif, logé dans la partie la plus archaïque du cerveau, est hélas le sens qui fonctionne le mieux dans une telle situation. Quant au toucher, il est mortifié pas la matière nue, la brutalité du béton et du métal. Ces sens trop impressionnables réveillent dans la douleur les émotions du passé. Ils favorisent surtout une pénétration plus lancinante du présent. Être enfermé, c'est déverrouiller les cinq sens. Ils sont libres, ils s'emballent et se dérèglent. Constamment en alerte, le prisonnier ne sait plus où il est.

   Dans ma campagne, il m'a fallu accomplir le chemin inverse : apprendre à recueillir dans la sérénité les sensations en provenance du monde extérieur. En fait, je n'ai eu besoin ni d'apprendre ni de m'imposer des règles de conduite. Je réalise aujourd'hui combien cette improvisation me fut bénéfique. Cette totale absence de méthode porte peut-être un nom : l'instinct vital, ce principe opportuniste et navigateur qui empêche le naufrage...



   Ces trois années de captivité constituent sans doute une expérience du malheur, mais elles sont surtout un échec. Être pris, connaître l'humiliation et la peur, éprouver quotidiennement l'exceptionnelle stupidité de geôliers, avoir toujours le dessous, il n'y a pas de quoi se vanter ; ce n'est pas un accident de parcours mais un ratage. Vous tournez mal, vous entraînez votre famille et vos proches dans ce naufrage. Être un survivant n'est pas davantage une victoire. C'est une séance de rattrapage. Bien sûr, on peut convertir un revers en prouesse, transformer une défaite en un dénouement heureux. Mais le fiasco originel est là. Il peut être retourné, transmué, sublimé, tout ce qu'on veut, il reste définitivement écrit en lettres de feu.

   Mon installation aux Tilleuls s'est faite au moment de l'affaire Salman Rushdie. Depuis, Hachemi Rafsandjani est devenu la quarante-cinquième fortune du monde selon le magazine Forbes. La fatwa a été levée. Dans ce domaine, les choses n'ont guère progressé, ou plutôt si : elles ont évolué en pire. Le monde retentit d'injonctions, de mandements, d'anathèmes. La collectivité est accablée de protocoles, de prescriptions, d'interdictions censés faire son bonheur. À ce train-là, nous allons vers un État où, comme dans 1984, ne subsisterons plus que quatre ministères : la Paix, la Vérité,  l'Abondance et l'Amour - dans Orwell, le ministère de l'amour est le plus effrayant, il n'a aucune fenêtre...
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Dehors, les parterres abandonnés reprennent vie malgré l'invasion des liserons, des ajoncs et surtout des bambous. J'ai passé toute la journée à extraire les deux palmiers morts pour les remplacer par les mêmes sujets: une espèce de Chine introduite à Bordeaux à la fin du XIXème siècle, capable de braver des températures allant jusqu'à quinze degrés au-dessous de zéro. Un couple de merles s'est niché dans un bois étêté. Le mâle arbore un plumage d'un noir très pur, la femelle est d'un brun foncé mélangé de roux et de gris. Leur façon vive et querelleuse de surgir des buissons, de siffler, de soulever les feuilles mortes avec leur bec et de se disputer une baie semble annoncer la fin des mauvais jours.
"Quand merle se réjouit, hiver est parti " assure le proverbe. Les lilas que je croyais morts renaissent. Je ne peux m'empêcher de penser que cet arbuste est originaire d'Iran. Depuis que la maison dans la clairière est inhabitée, le parc- ou plutôt l'airial - s'est développé tout seul; C'est une jungle de chênes, d'érables, d'acacias, de catalpas et de tilleuls enchevêtrés dans un combat sans merci, où le plus vigoureux a tenté d'exterminer le plus faible. Les arbres ne s'aiment pas entre eux.
Le plus hégémonique de tous, en même temps que le plus rusé, est le bambou. Il a colonisé les abords de l'airial et s'approche sournoisement de la maison. Ce n'est pas un arbre, d'ailleurs mais une herbe, ambiguïté qui donne la mesure de sa fourberie.

Les bourgeons naissants confèrent à présent une identité à à ces chevelures entremêlées. Boutons globuleux des tilleuls, vert pâle du marronnier , granulations rougeâtres des platanes. Moins robustes, les arbres d'ornement et les arbustes ont tenté de survivre à l'ombre des géants. Il y a les dominants et les dominés. " Le dieu féroce et taciturne" dont parle Verlaine, c'est cela aussi la nature: la brutalité des plus forts qui silencieusement font plier ou anéantissent les plus délicats. Ces troncs morts, ces fûts renversés ne soulignent pas seulement la démission de l'homme mais aussi la violence du règne végétal. Dans ce corps à corps impitoyable, on devine les raids, les embuscades, les contre-attaques. Quelques buissons de rosiers sauvages n'ont pas pris part à la bataille. Les lauriers-palmes se tiennent aussi à l'écart, ils prospèrent à l'ombre des deux platanes.
De l'ouest, par rafales, de gros grains se transforment en grêlons. Je ne me lasse pas de ces cumulus qui se congestionnent, de ces flèches glacées que le ciel décoche avec acharnement sur une nature qui tente de se renouveler. Parfois l'horizon est si noir que l'on croit la nuit tombée, le vent se lève en ouragan. Alors je me précipite dehors. Les premières gouttes éclatent et ricochent sur les troncs. Leur impact pince le visage. Cette piqûre qui vrille sur la peau me fait claquer des dents.
" Rentre, supplie Joëlle. Ce n'est pas parce que tu as manqué de pluie que tu dois prendre le mal....
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...Après trois années d'enfermement, j'ai besoin de la démesure de ce paysage, ponctué par des vides au milieu des pinèdes mais jamais borné."

..."Dans le calme du soir, les grands pins noirs renvoient vers la maison une odeur profonde de sous-bois. Une odeur qui souligne un silence duveteux et régalant. Le contraire du vide, du manque. Un silence vivant, balsamique..."

..." Le pin est l'arbre de l'élévation et du dépassement. Une forme de transcendance obtenue non pas par la rectitude mais par la courbure. Sa fausse verticalité maintient en suspension le paysage. Son balancement n'appuie pas sur le surface plane."

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Longues journées de lecture à l'ombre des deux platanes. Je sens leur présence bienveillante, commençant à saisir la musique secrète des feuilles qui viennent de se dégager des bourgeons. Sous la frondaisons, je guette le silences, la cadence, les motifs, les gammes par tons. Chaque platane possède son chant propre et son rythme. La brise peut murmurer au sommet de l'un et négliger l'autre. Pourtant ils se touchent et s'enchevêtrent encore plus étroitement depuis la feuillaison.
Parfois une clarté imprévue anime violemment leur âme végétative. Les branches se soulèvent, le houppier se torsade. On dirait que les deux platanes veulent extérioriser quelque chose. Mais quoi ? Les membres brassent l'air. Il y a comme une impuissance pathétique dans cette convulsion désespérée. Ca y est, me dis-je, un évènement se prépare. L'un d'eux balbutie; c'est sûr, il veut échanger. Mais la tentative dure peu, la ramure se balance avec hésitation. Le tronc et les branches maîtresses essaient encore un mouvement qui ressemble à un dandinement. L'effort a été vain. Le vieil arbre se recroqueville, un peu honteux. Ce sera pour une autre fois.
Les lumières de fin d'après-midi sont propres à ces bredouillements toujours avortés. La colonne vertébrale du fût s'anime, impulsant à la cage thoracique l'immense frémissement foliaire. Cette transe et le découragement à transformer le principe vital qui s'ensuit me bouleversent au plus haut point. Les milliers de feuilles qui paraissent comme autant de fanions au vent produisent pourtant un sentiment d'euphorie. Cela n'a évidemment rien à voir avec le murmure du vent dans les arbres. Cette activité qui survient à chaque instant du jour et de la nuit est banale. Le souffle dont je parle est différent. Il éveille l'arbre de l'intérieur, agissant comme un influx nerveux (...)
De quoi peuvent bien m'aviser mes deux platanes aux gros pieds ongulés? Je n'attends rien. Je réapprends le monde en épelant comme un enfant : nuages, arbres, ciel, vent...
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Je suis assis face aux deux platanes monumentaux. Lapouyade m'a assuré qu'ils sont âgés d'au moins cent cinquante ans. Jamais élaguée, dégagée de toute entrave, leur ramure s'est déployée impétueusement vers le ciel. Les branches à la cime ont fini par s'emmêle. Couturé par le temps, le tronc des arbres se desquame par plaques, laissant apparaître l'épiderme jaune. Par endroits, il ondule comme le pli de la peau. Plus que jamais, les deux piliers ressemblent à deux pattes d'éléphants, la base avec les racines dévidées en évantail imitant parfaitement la semelle garnie d'ongles. Dépouillés de leurs feuilles, les deux platanes n'en dégagent pas moins une puissance prodigieuse. Ils se tiennent en sentinelle devant la maison. Mes deux compagnons devinent la période de convalescence que je vis. Avec bienveillance, ils me regardent reprendre des forces. Ils me considèrent comme un être normal, non comme un égrotant qui ne pourra jamais se remettre du mal qui l'a frappé..."

..."Les deux platanes, qui avec leur ramure tourmentée, ont toujours l'air d'élever une protestation vers le ciel semblent apaisés. D'ordinaire, les branches tortueuses sur lesquelles ont commence à apercevoir le tracé encore léger du feuillage se chamaillent entre elles. Une façon retorse de porter haut, de se redresser avec agressivité, qui signale une nature mécontente et contrariée.

On ne se fait pas faute de corriger ces arbres insupportables. Un bon platane en France est un platane amoché. C'est par amputation qu'on vient à bout d'un tempérament jugé agressif. On le rosse, on lui démolit le portrait, on l'estropie, mais notre grand mutilé tient le coup. Inutile de dire que les rescapés se rattrapent. Les miens partent dans tous les sens, mais j'ai l'illusion de croire que je les ai apprivoisés. En tous cas, j'ai trouvé auprès d'eux repos et consolation... "



..."Longues journées de lecture à l'ombre des deux platanes. Je sens leur présence bienveillante, commençant à s
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