AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fabienne2909


Il y a quelques romancières que je me promets de ne plus lire, tout en y retournant à chaque fois qu'une nouveauté paraît parce qu'elles sont talentueuses et que je suis faible devant la littérature. Julia Kerninon en fait partie.

Je ne sais plus quel écrivain disait qu'écrire, c'est rédiger différentes versions du même texte, et c'est particulièrement vrai pour Julia Kerninon. Ottavia Selvaggio, la « sauvage » de ce roman, pourrait être la jumelle de Liv Maria, ou de la Julia Kerninon narratrice de « Toucher la terre ferme » voire des deux, car j'ai la curieuse impression à chaque fois de retrouver le même personnage sous des traits différents, et des thématiques chères à l'autrice (la maternité comme un fardeau, la langue anglaise comme idiome de l'ailleurs, de la mise à distance de soi, du pouvoir de la littérature comme retranscription d'une recherche de soi sans concession ni réel souci des autres). Dans « Sauvage », l'héroïne fait preuve de cet individualisme habituel qui m'a toujours beaucoup dérangée, mais moins cette fois. Pourquoi ? Parce que comme Ottavia qui, comme son mari le lui lance lors d'une dispute, ne cuisine que pour elle, je soupçonne Julia Kerninon de faire de même avec l'écriture, et d'enfin l'assumer pleinement.

J'ai vu dans « Sauvage » le roman du désir, ou plutôt des désirs d'une femme, Ottavia, pour la cuisine avant tout, dont elle fera son métier, une manière de s'opposer à sa mère qui ne cuisinait pas tout en se rapprochant de son père dont c'était le métier ; désir pour des hommes qui n'honoreront pas toujours leurs rendez-vous mais dont l'absence pour certains, la présence pour d'autres, participeront à la construction de sa cuisine ; désir enfin d'être libre de toute contrainte que pourrait lui imposer sa vie familiale.

Mais c'est aussi en parallèle le roman d'une femme sauvage, dure, qui, après deux déceptions amoureuses, n'a pas voulu louper le coche de la relation suivante. Elle s'est inconsciemment domestiquée, au point de donner à son restaurant le nom de son mari, de faire des enfants sans le vouloir vraiment, avant de se réveiller et de se rendre compte qu'elle est passée à côté de sa vie et qu'elle se demande qui elle est devenue (heureusement que les hommes de sa vie lui diront qui elle est réellement, pour la guider, la pauvre…!)

Cette introspection est l'occasion pour l'autrice de délivrer une nouvelle fois sa vision très négative de la maternité, vue comme un boulet au pied, l'antithèse de la liberté.
D'un côté je le comprends, la vie de famille est très éloignée de celle d'une célibataire sans attache ; et d'un autre côté, je trouve Ottavia d'un égoïsme absolu : sa réussite a été possible grâce à son mari qui s'occupe de tout sans se plaindre, et elle est à s'apitoyer sur sa prétendue absence de liberté. Mais cette vie-là a été librement consentie par elle !

Malgré cela, « Sauvage » est un très beau portrait de femme, magnifiquement écrit. L'intensité d'Ottavia, sa dureté qui masque une fragilité étonnante, ont a su me conquérir. Je peux cette fois me dire que j'attends avec impatience le prochain roman de Julia Kerninon !
Commenter  J’apprécie          290



Ont apprécié cette critique (29)voir plus




{* *}