Je crois que le monologue est la forme la plus instinctive pour moi : sur les quatre livres que j`ai publiés ces dernières années, trois sont des monologues, d`une façon ou d`une autre. Dans Une Activité respectable c`est moi qui parle en mon nom propre, et dans Buvard, au fond, même si au premier abord on peut penser qu`il s`agit d`un dialogue, c`est surtout Caroline qui s`exprime. Le Dernier Amour d`Attila Kiss n`est plus un monologue, mais en a été un presque jusqu`à la version finale.
Pour Ma dévotion, j`avais lu notamment des livres sur les peintres racontés ou interviewés par un de leurs amis, comme le magnifique L`Homme à l`écharpe bleue de Martin Gayford, dans lequel il échange avec Lucian Freud pendant que celui-ci peint son portrait. Donc ça semblait une tradition, un peu, ce format-là pour parler d`un peintre. Et puis aussi petit à petit il y a eu cette idée, quelque chose de féministe, la somme de toutes les choses que les femmes font et pensent et voient mais que personne ne sait parce que personne ne leur pose la question, personne ne s`intéresse à la vie intérieure des femmes. Alors j`ai aimé cette idée que ce soit Helen qui ait le dessus, que ce soit elle la récitante, qu`elle ait littéralement le dernier mot.
Moi je suis jalouse des artistes du visuel, régulièrement, oui. Mais je ne dirais pas que je l`ai constaté chez d`autres écrivains. Attention, pour le reste : si la vie d`écrivain d`Helen est mineure en comparaison de la vie de peintre de Frank, c`est d`abord parce qu`il est meilleur peintre qu`elle n`est écrivain ; d`ailleurs elle n`est pas un écrivain « artistique » : elle est plutôt du côté de l`édition, de la critique. Elle ne fait pas d`art, parce que ce n`était pas sa compétence. Sa compétence, c`était effectivement, d`épauler quelqu`un comme Frank. Mais là aussi, plus sourdement, je pense que ça soulève des questions féministes : peut-on imaginer un homme dont la compétence serait de porter une femme à la gloire ? Pourquoi pas, oui, mais dans les faits, qui ?
Je ne pense pas vraiment que le roman ait des frontières – il a des règles et des lois et elles sont très exigeantes, mais peut-être qu`il n`y a pas de frontières. Et c`est vrai, il y a quelque chose de l`ordre du théâtre dans ce livre, bien sûr. J`ai beaucoup pensé au théâtre grec, à William Shakespeare, et aussi il y a quelque chose qui se joue avec les contes de fées régulièrement évoqués. C`est Helen qui offre un spectacle à l`amour de sa vie sur un trottoir de Londres, un spectacle qui n`aura lieu qu`une seule fois, qui disparaît à mesure qu`il existe, qui ne tient que le temps de cette parole qui arrive beaucoup trop tard.
Pas de la violence mais de l`intensité, oui. C`est vrai, j`écris toujours sur les relations humaines, leurs débuts, leurs évolutions, leurs chutes. Ça me semble au cœur de tout. Je ne suis pas très douée avec les grands concepts, je ne suis pas faite pour écrire des romans d`idées – ma force, c`est l`empathie, la curiosité, l`attention, et c`est ça qui se retrouve dans mes livres. Toute ma vie, je regarde les gens et j`essaie de les comprendre, j`essaie de les imaginer, et après j`écris des livres où je recrée le monde en un peu plus intense, parce que j`aime quand c`est intense. Et c`est sans doute pour ça que je crois que l`intensité, c`est de l`amour.
La relation entre Frank et Helen, elle est profonde, elle est longue, elle est sérieuse, elle va avoir des conséquences. C`est une chose dans leurs vies aussi considérable et aussi solide qu`une maison. Pendant des années, dans ma vie privée, j`ai mal parlé de l`amitié, je pensais que ce n`était rien, qu`on avait toujours des amis, qu`ils allaient et venaient – et puis j`ai changé d`avis, j`ai vu les choses différemment. Je pense que c`est aussi pour ça que j`ai voulu raconter cette histoire d`amitié qui est une histoire d`amour, parce qu`il entre toujours de l`amour dans l`amitié.
C`est difficile à dire. Je connais et j`apprécie quelques écrivains de ma génération que j`ai pu croiser, je vois beaucoup Emmanuelle Richard qui publie à L`Olivier, quand je vivais encore à Paris on passait presque toujours un soir par semaine à se parler à la terrasse du même café dans le Nord de Paris. Partager des thèmes ou des obsessions, je ne sais pas, et surtout je ne vois pas ce que ça voudrait dire. Mon écriture, malgré la publication, c`est ce que j`ai de plus privé, en un sens, je ne vois aucune raison pour laquelle elle devrait ressembler ou rejoindre celle de quelqu`un d`autre. Et je ne sais pas qui je vais lire à la rentrée – je ne suis pas très au courant de ce qui va sortir, à part chez Actes Sud. J`ai le livre de Nicolas Mathieu, Et leurs enfants après eux, je vais lire ça.
En ce moment je traduis un livre américain qui regroupe des essais d`écrivains expliquant pourquoi ils ont décidé de ne pas avoir d`enfant. Personnellement c`est le meilleur livre que j`aie jamais lu sur les enfants, et c`est très intéressant de le traduire pendant la sieste de mon propre bébé, ça m`équilibre. Ça devrait être publié dans le courant de l`année en France chez Calmann-Lévy. Je travaille aussi à une réécriture de ma thèse de littérature américaine sous forme d`essai pour une publication aux PUF. Et puis j`ai un roman en route, j`en ai une première version dont je commence à penser qu`elle n`est peut-être qu`une grosse moitié du truc final. Et puis je voudrais écrire un autre petit récit autobiographique comme Une Activité respectable – je l`appellerais Une Situation intéressante et ça parlerait de la maternité, mais je n`ai pas encore décidé comment faire exactement.
Dans la bibliothèque de mes parents, il y avait, coincé dans une fente du bois, un tout petit livre, grand comme une phalange environ. Il me semble que c`était une bible protestante, datant d`une époque où ce culte était interdit, et où donc un livre minuscule comme celui-là était la seule façon de posséder une bible sans trop de danger. Ce petit livre-là, pas parce qu`il était une bible mais parce qu`il était cet objet si singulier, qui tenait dans la paume de la main, qui semblait possible, peut-être que c`est ce livre-là qui m`a donné envie d`écrire.
Peut-être Harlem Quartet, de James Baldwin. Sinon, Ulysse de James Joyce, ou Lumière d`Août de William Faulkner, mais c`est tellement tellement éloigné de mon style que c`est difficile à imaginer.
La Cave, de Thomas Bernhard.
Le Rabaissement, de Philip Roth.
Le Capital de Karl Marx et Les Snopes de William Faulkner.
Le livre en trois tomes de Robert Graves sur l`empereur Claude : Moi, Claude, empereur.
Tout Stendhal. La Montagne Magique et Les Buddenbrook de Thomas Mann.
« La patience est la récompense de la patience », Jim Harrison.
J`ai accepté d`être jurée pour le Prix Jules Rimet qui récompense un roman de littérature sportive – donc je suis en train de lire La Perfection du revers, de Manuel Soriano, et c`est très bien, je trouve. Je relis aussi Une Veuve de papier, de John Irving.
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