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Critique de JeanPierreV


Dans son livre "Un autre : Chroniques d'une métamorphose" Imre Kertész se disait "marqué" à la fois par sa déportation à Auschwitz et par la vie sous le joug soviétique dans la Hongrie d'après guerre.
"Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas" confirme, si besoin était, la souffrance morale vécue par cet auteur...une souffrance, un traumatisme, qui lui interdisent d'envisager sereinement l'avenir, qui ne lui donnent pas le droit d'avoir un enfant, d'être père, avec tout que cela comporte comme responsabilités
Ayant côtoyé la mort, il ne peut transmettre la vie, et de ce fait, refuse tout enfant à son épouse.Une épouse qui l'abandonnera et le laissera seul.
Le texte est doublement difficile.
Difficile tout d'abord, car il nous permet de vivre l'état d'esprit de l'auteur, cette blessure définitive de l'âme, cette nouvelle personnalité. Un poids sur les épaules qui l'immobilise, et perturbe son comportement pour le reste de ses jours. "Cet homme, que ses parents ont élevé dans le plus strict esprit chrétien, dans la bigoterie", découvrit sa judéité à Auschwitz. On perçoit, en lui, l'homme broyé par ces deux expériences totalitaires successives. Ces réalisations humaines, Auschwitz et le communisme, posent toutes deux un problème philosophique à l'humanité parce qu'elles ont eu lieu, parce que l'Homme les a conçues. Il tente de les décortiquer. Depuis, définitivement condamné à revivre Auschwitz, il avoue qu'il lui est impossible d'écrire sur le bonheur : "on ne peut pas guérir d'Auschwitz, personne ne peut se remettre de la maladie d'Auschwitz". Et pourtant, certains hommes lui ont permis de conserver espoir en l'Humanité : on ne peut qu'être troublé, comme il l'a été, par l'attitude de cet instituteur qui garda sa portion de nourriture, à l'auteur malade, couché sur un brancard. D'autres l'auraient accaparé sans vergogne. La subtilité de cette approche philosophique n'est pas toujours facile à appréhender.
Difficile aussi, car le texte sans paragraphe est fait de longues phrases souvent pesantes comportant de nombreuses digressions.
Pour ces deux raisons conjointes , il est souvent nécessaire d'effectuer des relectures complètes de paragraphes ou de phrases afin de s'en imprégner, et d'espérer comprendre la pensée de l'auteur.
Celui-ci reste écrasé par ce passé, et adulte, il en arrive même à se sous-estimer "moi, je suis écrivain et traducteur, et je ne vais pas me ridiculiser en me réclamant des géants qui furent de véritables écrivains et -parfois - de véritables traducteurs, parce que je suis suffisamment ridicule sans cela, avec mon métier" - rappelons qu'il reçut le Prix Nobel - et à nous préciser son rapport avec la littérature qui lui permet de prolonger cette souffrance permanente : "il s'avéra qu'en écrivant, je cherchais la souffrance la plus aiguë possible, à la limite de insupportable, vraisemblablement parce que la souffrance est la vérité"
On se souviendra qu'il fut déporté à l'age de 15 ans, son enfance s'achevait. Ce fait est le seul qui permet de mieux comprendre la gravité de cette obsession, les conditions d'écriture de ce texte complexe, ce refus de transmettre la vie :
«Non !» – je ne pourrais jamais être le père, le destin, le dieu d'un autre être,
«Non !» – jamais ne peut arriver à un autre enfant ce qui m'est arrivé dans mon enfance,
«Non !» – criait, hurlait en moi quelque chose, il est impossible que cela, c'est-à-dire l'enfance, lui arrive – t'arrive

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