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Citations sur Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas (43)

Auschwitz, dis-je à ma femme, m'est apparu par la suite comme une exacerbation des vertus qu'on m'inculquait depuis ma prime jeunesse. Oui, c'est alors, durant mon enfance, durant mon éducation qu'a commencé mon impardonnable anéantissement, ma survie jamais survécue, dis-je à ma femme. J'ai pris une part modeste et pas toujours très efficace au complot silencieux ourdi contre ma vie, dis-je à ma femme. Auschwitz, dis-je à ma femme, représente pour moi l'image du père, oui, le père et Auschwitz éveillent en moi les mêmes échos, dis-je à ma femme. Et s'il est vrai que Dieu est un père sublimé, alors Dieu s'est révélé à moi sous la forme d'Auschwitz, dis-je à ma femme.
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Et finalement, je n'eus plus besoin de cette définition, tout simplement parce que je m'étais fait à cette idée, je veux dire à l'idée de ma judéité, tout comme j'ai fini par me faire aux autres pensées désagréables et surtout pas très compréhensibles, lentement, une par une, concluant une paix crépusculaire, en sachant bien que ces pensées désagréables et surtout peu compréhensibles disparaîtront quand, moi-même, je disparaîtrai, mais en attendant, ces pensées sont parfaitement utilisables et parmi elles se trouve, dans le peloton de tête, celle de ma judéité, bien sûr uniquement en tant qu'état de fait désagréable et pas très compréhensible qui peut représenter de temps en temps un danger de mort relatif, mais bon, pour moi du moins (et j'espère, j'en suis même sûr, que tout le monde n'est pas de mon avis, loin de là, je crois qu'il se trouvera des gens qui m'en voudront, j'espère même franchement qu'ils me détesteront, surtout les juifs et les non-juifs philosémites et antisémites), pour moi donc, c'est justement là que réside son utilité, je ne peux l'utiliser que de cette façon, jamais autrement : comme un état de fait désagréable et pas très compréhensible, de surcroît parfois dangereux que, peut-être rien que pour le danger qu'il peut représenter, nous devons essayer d'aimer comme nous le pouvons,...
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Je me souviens que je souffrais beaucoup à cause d'une sensation, qu'en vérité je pourrais appeler une maladie et que pour mon propre usage j'avais nommée "sentiment d'altérité". Depuis ma plus tendre enfance, je connais bien cette sensation qui ne me quitte jamais, mais alors elle me hantait de façon dangereuse, m'empêchait de travailler le jour, de dormir la nuit, j'étais à la fois tendu à l'extrême et abattu jusqu'à l'impuissance. C'est une maladie nerveuse bien fondée, nullement imaginaire, moi du moins je crois que dans le fond, elle s'appuie sur la réalité, sur la réalité de notre condition humaine. En général ça commence par une impression d'étonnement, d'autres fois en revanche, surtout à cette époque-là, par l'impression extrêmement violente que ma vie ne pend qu'à un fil, mais pas au sens où je vais vivre ou mourir, il n'est pas question de la mort, il n'est justement et exclusivement question que de la vie, sauf que celle-ci fait soudain apparaître en moi l'image et la forme, plus précisément, l'absence de forme de l'incertitude la plus totale, si bien que je ne suis pas sûr du tout de sa réalité, oui, je suis plein de doutes envers ce que mes sens présentent comme réel mais qui est très douteux, en somme, je me méfie de l'existence réelle de mon environnement et de moi-même, et je suis relié à cette existence, comme je l'ai déjà dit, par ce genre d'expériences, que je devrais peut-être plutôt nommer crises, donc au cours de ces expériences semblables à des crises, je ne suis relié à la vie, celle de mon environnement et la mienne, que par un fil, et ce fil c'est seulement ma raison, rien d'autre. Or ma raison est non seulement encline à l'erreur, le moins que je puisse dire est que ce n'est pas un instrument, ou comment dire, un organe des sens parfait, mais de surcroît elle fonctionne la plupart du temps péniblement, par à-coups, confusément, et parfois à peine.
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J'ai toujours eu une vie secrète qui était toujours ma vraie vie.
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Ça ne finira donc jamais, dit ma femme, on ne peut pas échapper, dit-elle, à cette malédiction, et si au moins elle savait ce qui faisait d'elle une juive, alors qu'elle était incapable de croire à la religion, alors que, peut-être par négligence, lâcheté ou par goût, elle ne connaissait tout simplement pas la culture proprement juive des juifs et était incapable de s'y intéresser parce qu'elle ne l'intéressait pas, dit-elle, qu'est-ce donc qui faisait d'elle une juive, alors que ni sa langue, ni son mode de vie ne la différenciaient de ceux qui vivraient autour d'elle, sauf peut-être, dit-elle, un message secret, archaïque, enfoui dans ses gênes mais qu'elle-même n'entendrait pas et ne pouvait donc pas connaître ?
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Car comment pourrait-on décider quoi que ce soit contre son destin, pour employer cette expression grandiloquente, alors que par destin, nous comprenons la plupart du temps ce que nous comprenons le moins, c'est-à-dire nous-mêmes, ce facteur sournois, inconnu, agissant sans cesse contre nous, et que le plus simple pour nous, dépaysés, aliénés, est de nommer notre destin en nous inclinant avec dégoût devant sa puissance.
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Je ne peux pas faire autre chose quand j'ecris,je me souviens,je dois me souvenir,sans doute a cause du savoir,le souvenir est un savoir,nous vivons pour nous souvenir de notre savoir,parce que nous ne pouvons pas oublier que nous savons
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Je ne supporte pas l'expression "On ne peut pas penser Auschwitz". On peut très bien penser Auschwitz. Mettez un fou à la tête d'un État de droit, et vous aurez Auschwitz.
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Ce qui est réellement irrationnel et qui n'a vraiment pas d'explication, ce n'est pas le mal, au contraire : c'est le bien.
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Elle dit que je l'avais terrassée avec mon esprit, puis que j'avais éveillé en elle la compassion et qu'après avoir éveillé sa compassion, je l'avais transformée en auditrice, en auditrice de mon enfance terrible et de mes histoires abominables et quand elle avait voulu devenir partie prenante de mes histoires pour me sortir de l'impasse qu'elles représentaient, de ce bourbier, de cette vase, et me conduire vers elle, vers son amour, pour qu'ensuite nous sortions ensemble de ce marais et le laissions pour toujours derrière nous comme le mauvais souvenir d'une maladie : alors j'avais soudain lâché sa main (c'est ainsi que s'exprima ma femme) et j'avais pris mes jambes à mon cou pour retourner dans le marais, et elle n'avait plus la force, dit ma femme, de me suivre une deuxième fois, et qui sait combien de fois encore, pour me ressortir de là. Car il semblait, dit ma femme, que je ne voulais même pas me dégager de là, à l'évidence, il n'existait pas pour moi de chemin menant hors de ma terrible enfance et de mes histoires abominables, quoi qu'elle fît, dit ma femme, et même si elle sacrifiait sa vie pour moi, elle savait, elle voyait qu'elle le ferait pour rien, en vain. Quand nous étions tombés l'un sur l'autre (ma femme employa ce mot), il lui avait semblé que je lui apprenais à vivre, ensuite elle avait vu avec horreur quelle force destructrice il y avait en moi et qu'à mes côtés ce n'était pas la vie qui l'attendait, mais la destruction. La conscience morbide, dit ma femme, voilà la cause, c'était une conscience morbide et empoisonnée, répétait-elle encore et encore, empoisonnée pour toujours, une conscience nocive et contagieuse que, dit ma femme, il faut faire disparaître, oui, dit ma femme, il faut s'en libérer, s'en détacher si on veut vivre et elle avait décidé, répéta-t-elle, qu'elle voulait vivre.
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