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Critique de Meps


Meps
11 septembre 2023
Imre Kertesz faisait partie de ma liste "Les Nobels à lire en priorité au vu de ce qu'on m'en a dit". Un auteur exigeant, au style ardu mais qui lui permet de retranscrire l'émotion et la puissance d'une vie traversée par le drame de la Shoah... Voilà ce que j'avais en tête en l'abordant et je n'ai pas été déçu.

Dans ce Kaddish, cette prière des morts de la religion juive, l'auteur tente de comprendre le "Non !" qui est sorti instinctivement de lui face à la question de la paternité. Un contre instinct, comme il le dit lui même puisque l'instinct voudrait qu'on veuille devenir parent, "mon existence considérée comme la possibilité de ton être" comme le redéfinit brillamment l'auteur, alors que lui ressent plutôt le contre instinct de "ton inexistence considérée comme la liquidation radicale et nécessaire de mon existence". Cette réflexion, cette redéfinition, à l'image d'un philosophe qui cherche constamment à travailler autour des concepts qui fondent son existence, forme la trame de tout ce récit. Cela semble bien âpre présenté comme cela, surtout si on ajoute la reprise de motifs réguliers, comme les litanies d'une prière qui offre sa forme au roman.

Et pourtant cette introspection du narrateur est vraiment intéressante, la manière dont il recherche l'explication de ce choix à rebours de la majorité. Serait-ce l'effet de l'expérience de la Shoa, les conséquences du séjour à Auschwitz ? Mais pourtant certains rescapés ont au contraire fait le choix de fonder des familles, afin que la vie triomphe. L'auteur s'interroge alors sur la façon dont il comprend Auschwitz, et là aussi il se positionne à contre courant. Non pour lui Auschwitz n'est pas "inexplicable" comme certains l'affirment. Il trouve cela trop facile comme présupposé, car il empêche d'affronter le mal en face, celui qui est dans l'homme et qui finalement peut faire comprendre Auschwitz comme logique, presque inéluctable.

Je me rends compte que ce texte donne envie de livrer ce qu'on en a compris, sans doute parce qu'en plongeant dans les affres de la réflexion de son narrateur, l'auteur nous offre ainsi un miroir de nos propres interrogations, retours en arrière, renoncements. A l'image du texte de la Chute de Camus que j'avais ressenti comme adressé directement à moi, cette introspection est construite de façon si habile qu'elle nous renvoie à nos propres monologues intérieurs, à la recherche constante des justifications de nos actes, de nos choix qui est sans doute notre activité mentale principale.

Loin de se limiter aux interrogations sur Auschwitz ou sur sa judéité (très profondes et originales, pour un sujet pourtant abordé à de nombreuses reprises par d'autres), le narrateur-auteur vient questionner son enfance, son rapport à un patriarcat juif incarné dans la pension qu'il a fréquenté, son rapport à son propre père, la construction de son couple pour tenter de comprendre cette décision de ne pas faire naître cet enfant potentiel. Et lorsque la fin survient, on comprend qu'on n'a ainsi pas uniquement voyagé dans le cerveau d'un homme mais bien dans toutes les époques de sa vie, et qu'en moins de deux cent pages on est presque parvenu à la connaissance intime de cet être dont le rapport au monde n'a pu se construire que de façon chaotique, dans la tempête qui a emporté avec lui tout son siècle.
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