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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Du 24 décembre 2007 au 24 janvier 2008, l'affaire Kerviel a fait éclater au grand jour la fragilité et les mensonges du monde de la finance. Quelques mois auparavant, le trader de la Société Générale Jérôme Kerviel avait fait gagner la bagatelle de 1,4 milliard d'euros à sa société grâce à des prises de risques assez insensées, mais encouragées par ses supérieurs tant que la banque ramassait la mise. C'est même le principe premier du bon trader : « Savoir prendre le maximum de risques pour faire gagner à la banque le maximum d'argent. » Comme son bilan de fin d'année a très largement dépassé le quota autorisé, il en reporte environ la moitié sur l'année suivante, espérant tout régulariser en quelques jours. Mais les marchés partent à la baisse et ne semblent plus vouloir remonter. Kerviel reste calme. Tant qu'il ne vend pas, il ne perd rien. Mais c'est à ce moment que les dirigeants se réveillent, le mettent en accusation, le licencient, portent plainte pour détournement de fonds, intrusion dans les systèmes informatiques et mise en danger de l'établissement bancaire. La Société Générale l'accuse de lui avoir fait perdre 4,9 milliards d'euros alors que toutes les ventes à perte pratiquées dans la hâte sur trois jours ont été le fait de ses collègues sur ordre de la direction. Et c'est le début d'un véritable chemin de croix pour le trader qui se retrouve en garde à vue puis en prison alors qu'il n'a pas détourné un seul centime à son profit…
« L'engrenage, sous-titré Mémoires d'un trader » est le témoignage sincère et touchant d'un homme honnête qui s'estime injustement accusé de malversations qui ne sont d'après lui que pratiques courantes dans le milieu bancaire. « Pas vu, pas pris » étant le principe premier du banquier. Il tente par cet ouvrage de se réhabiliter, de donner une image différente de celle des médias acharnés à sa perte. Il bossait de 7 heures du matin à 22 heures quasiment non-stop pour suivre l'évolution des marchés asiatiques, européens et américains. Il n'avait plus de vie personnelle, passionné qu'il était par son métier. Il était pris dans « l'enfer de la bonne gagneuse ». Pris dans un engrenage qui le dépassait, il fut traité comme une sorte de bouc émissaire et même de fusible au moment où la banque se trouvait dans de grandes difficultés. L'affaire tombait à point nommé pour faire oublier le scandale bien plus énorme des « subprimes ». Même si ce témoignage n'est plus d'actualité, il reste pertinent, vu qu'il permet de mieux comprendre ce qui se passe à l'intérieur des salles de marchés, comment les banques jouent au casino avec de l'argent qui n'existe pas (et même avec le nôtre, bien réel lui) et comment cette spéculation effrénée filant à la vitesse des octets peut créer des bulles, des krachs et de la misère et de la désolation partout dans le monde pour que Big Money et ses « banskters » s'en mettent plein les poches. Dans cet ensemble, le pauvre petit Kerviel ne fut qu'un lampiste qui le paya très cher quand même, 3 ans de prison ferme et 2 avec sursis (aménagés au bout de cinq mois) et surtout 1 million d'euros de dommages et intérêts toujours dus à la Société Générale. Comme le casino, la banque est toujours gagnante…
Lien : http://www.bernardviallet.fr
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Après une année à Quimper, Jéjé obtient sa maîtrise en finances à l'IUP de Nantes. Il kiffe son stage à la SocGen et y serait bien resté travailler. Réglo, il suit pourtant les suggestions de sa responsable de stage et décroche son DESS Finances à l'université de Lyon. La BNP où il a fait son stage veut l'embaucher. Il y a certes saisi l'importance pour les traders de l'information, de l'informatique et des mathématiques, mais le backoffice, c'est mou du genou. Quand la SG le rappelle, à l'été 2000, c'est pour un poste à la DAI, Dérivés Actions et Indices, en middle office, plus proche du front. Il fonce.

À 30k€ par an, on est loin des salaires d'embauche de Polytech. Mais c'est pas ça qui l'intéresse. Jéjé aime la performance, les défis, faire marcher son cerveau, rationaliser les règles, comprendre ce qui se passe, donner un sens au chaos. À ce jeu, il est imbattable. Gros cerveau, grosses capacités, engagement illimité. Sa solution, pour résister à la frustration : brûler son énergie et faire bouillir ses neurones non pas pour transgresser ou contourner les règles mais pour les dépasser, les sublimer, les rendre toutes cohérentes entre elles en se plaçant juste à l'endroit où tout en les respectant toutes on y échappe : l'oeil du cyclone.

Depuis son poste, tandis qu'il se contente de saisir des données, de créer des références, de faire des mises à jour, il sent de temps à autre l'émotion de la salle de marché suinter par les bas de portes… C'est qu'à l'époque, la SG se targue d'avoir mis un système informatique béton, à la pointe du secteur à l'échelle mondiale pour réguler les marchés : les opérations sont automatisées, une vraie machine qui ronronne toute seule – et donne à la vitesse de la lumière les informations pertinentes aux traders pour performer. Pour capter tout ça et suivre le mouvement, le dépasser même, Jérôme ne compte pas ses heures : de 8h à 20h – et parfois plus.

Deux ans plus tard, il devient assistant trader – et se rapproche du graal. Mais l'amour a son prix : maintenant, de 7h à minuit – et encore, sans compter les pots avec les collègues à la sortie du taf' –, il vit au rythme de la SocGen. L'ambiance est électrique, on ne plaisante pas avec les résultats. Jéjé se sait surveillé, on l'attend au tournant, il a intérêt à ne pas se planter : une fausse info dans le mauvais tuyau et c'est l'engueulade assurée par le trader qu'il aura plombé. Non seulement il sert la soupe à tout le monde, sans retard, et bonne température, mais en plus, il apprend les petits plaisirs des uns et des autres… et garde même du temps et de l'énergie pour s'informer en privé avec un trader, un vrai, qui répond à sa curiosité insatiable sur les rouages du métier. Il se plaît à rêver de ce qu'il n'aura jamais : il le sait, sa formation bac+5 de second rang ne lui ouvrira jamais les portes du trading.

Fin 2004, pourtant, un miracle se produit, un fait rarissime, un assistant trader est adoubé, c'est lui. Son mentor lui apprend qu'il a bataillé ferme pour lui ouvrir la porte à double-battants, abaisser le pont-levis, lever la herse… et voilà un rayon de lumière qui se dépose sur son front : en janvier, Jéjé devient trader.

Pour sa première opération qui vaut le prix de son appartement – enfin de celui de sa proprio – il flippe à mort. On le presse : t'es trop lent, clique plus vite. C'est une nouvelle règle, ne pas hésiter, prendre des risques, Jéjé l'intègre elle aussi et la compile avec toutes les autres. Il a l'habitude.

Quand un collègue perd, il hurle et profère des insultes à tout va. On le rassure, tout va bien se passer. S'il gagne, il est applaudi. Jéjé intègre cela aussi : seul le résultat compte. Pour le faire venir, la hiérarchie et le back office abaisse les barrières. Les alertes de dépassement sont automatisées ; on vous l'a dit, la SG s'est bien équipée. Que fait-on des alertes ? C'est simple, la hiérarchie les annule – et, les mains libres, on peut se concentrer sur l'essentiel. Comment engager des sommes folles qui pourfendent les ratios des bonnes pratiques ? Facile, on demande l'autorisation de saisir une opération inverse, fictive, que l'on n'honore pas : on change la compta, mais pas la tréso. Et quand les sous rentrent, on annule la saisie fictive, hop. Si quelqu'un par malheur observe des écarts dans les écritures, on fait intervenir la dir fi qui, parfois, éventuellement, à l'occasion, demande qu'on lui fournisse une petite note sur les centaines de millions qu'il faut passer sous le tapis, on lui refile les deux lignes vagues que le staff a pondu en vitesse sur les indications données entre deux portes, on change les chiffres et tout rentre dans l'ordre. On se serre les coudes à la SG car tout le monde le sait, le marché est l'expression d'une liberté totale – et le trader doit se sentir à l'aise. S'il gagne, tout le monde gagne. S'il perd ? Bof, on verra bien. La bourse, la banque gagnent toujours. L'argent est une denrée dont tout le monde a besoin.

Lors des sessions corporate, tout le front est invité à participer à des orgies où les plus hauts responsables de l'entreprise donnent l'exemple : ce qui m'intéresse c'est le pognon, moi aussi je contourne les règles, on va défoncer les limites. Avec de tels exemples, on se sent plus en confiance pour repartir comme en 40, c'est sûr.

Jéjé surperforme. Il trouve des trucs, des astuces, des correspondances, des signes anticipateurs – et les opérations les plus bankables. Chez lui, « ça laisse », il est « bull » et s'il est parfois « bear », il lui suffit d'exploser sa souris pour se remettre en selle. On apprend aussi de ses erreurs.

Comme dans toutes les boîtes de commerciaux qui surperforment, les objectifs atteints de l'année N forment la cible à atteindre de l'année N+1. Jéjé s'en fout : il fait rentrer 5 millions la première année (objectif x1,6), 10 la deuxième (x2), 55 la troisième (x5). À lui tout seul, Jéjé fait le chiffre de la moitié de l'équipe – soit le CA d'une boîte de 500 personnes, de quoi en faire vivre 2 000, un petit village…

Beaucoup plus en fait. Oui, parce qu'en réalité, le résultat de 55 millions est déguisé. Ben, c'est-à-dire, le vrai chiffre est tellement énorme qu'on ne peut pas l'afficher en une fois, comme ça, en fin d'année, on paierait beaucoup trop d'impôts, vous comprenez ; le petit Jéjé qui était il n'y a pas si longtemps assistant trader a en vérité fait gagner à la boutique : 1,5 milliard d'euros. de quoi payer tous les salaires d'une bonne ville de province, bien plus grosse que Quimper – pendant un an. À lui tout seul.

Ah, j'oubliais, ce n'est pas tout à fait vrai non plus : car ce gain milliardaire n'a pas dormi sous un matelas : la SG l'a réinvesti direct. Finalement, l'objectif de l'équipe, les 70 millions, c'est en intérêts que Jéjé l'a fait gagner à la SG. En plus du milliard et demi, lequel, en plus, est donc défiscalisé puisque… il n'apparaît pas dans les comptes… Donc là, c'est sûr, Jéjé s'est satellisé, il plane et observe la terre depuis la stratosphère. Il se pourrait qu'il n'ait pas tout à fait saisi les tenants et les aboutissants de cette nuée qui le met bien au coeur du cyclone. Pourrait-il s'y maintenir ? On ne lui fait aucun reproche, au contraire, pour qu'il fasse son boulot, on ouvre les vannes, on corrige en back office, on susurre en coulisse : jusque-là tout va bien.

Revenons sur les faits ; en 2007, Jéjé avait engagé 130 milliards d'euros sur les marchés, soit, en gros, le PIB de Berlin – 4 millions de personnes. D'ailleurs, tandis que les bourses européennes s'effondrent, étrangement, le marché allemand résiste : cherchez pas, c'est Jéjé qui passe des ordres à Francfort. Oui, oui, la SG lui a tellement lâché la bride qu'à lui tout seul il soutient le marché allemand. Hervorragend, ne ?

À Francfort, on s'étonne tout de même de tous ces ordres volumineux qui viennent de Paris. Une enquête révèle qu'ils sont donnés par une seule personne, un certain JK, depuis la SG. L'autorité de régulation allemande envoie gentiment un courrier à la SG pour l'informer de son désir, si elle le veut bien, d'éclairer cette étrangeté d'un trader qui fait la politique économique de la première puissance de la zone euro… Si ça ne dérange pas, bien sûr. Comme d'habitude, on bazarde en haut-lieu une excuse bidon.

Reste qu'il faut bien mettre à jour les comptes pour clôturer l'exercice de 2007. Tout le monde sait que les comptes d'une boîte ne sont définitifs qu'après la validation des commissaires aux comptes, au mieux, en avril. le contrôle interne a donc quatre mois pour décider avec les CAC où il fourre le milliard et demi qui, finalement, gêne tout le monde – comme quoi, l'imprévu, dans l'existence, même dans la finance, ça déstabilise.

Sauf que. Nous sommes au début de 2008. Les marchés se tendent. Déjà inquiétés par les opérations audacieuses du couple SG-JK en avril 2007, les CAC veulent s'assurer que la clôtures des comptes cette année se fera plus en douceur : ils ont décidé de débarquer pour une première prise de contact la semaine prochaine. le contrôle interne se fige : il n'a que quelques jours pour ficeler les billets en paquets – il en traîne un peu partout.

Et comme si ça ne suffisait pas, le gouverneur de la Banque de France en rajoute une couche : il exige « que le bilan de toutes les banques soit déposé sur son bureau dès le lundi matin ». Là, ça devient franchement sport. On conclurait facilement qu'à la SG, le boulet, ce n'est pas la cash machine, non, ça, « ça laisse », ce serait plus le back office, la compta, le contrôle de gestion, tous ces supports qui ralentissent tout le monde avec toutes ces règles contraignantes. Mais pourquoi donc ? Chez les traders, on a pris l'habitude de les voir traficoter les chiffres sur demande.

C'est alors que tout le monde se prend les pieds dans le tapis : on ne trouve pas la solution. Jéjé a trop gagné, la SG a trop attendu. On est face au mur, à la Banque de France, aux CAC : c'est la panique. En plus, pour pousser le bouchon, Jéjé se rend compte que les 50 milliards qu'il a déjà engagé, en un mois, en janvier – à 50 le mois on partait sur des bases bien plus prometteuses que les 130 de l'année dernière –, ces sommes nouvelles, ne sont pas franchement gagnantes. Il perdrait, s'il débouclait maintenant, quelque chose comme 1 ou 2 milliards. Mieux vaut attendre. D'ailleurs, avec du recul, il a noté qu'en février tout aurait repris de la valeur. Trop tard, en l'absence de Jéjé, mis à l'écart, un trader remplaçant a tout débouclé en catastrophe. Perte totale : 5 milliards. le milliard et demi de l'an passé ne peut même plus passer pour mirifique. En récompense de son travail somptueux, le trader remplaçant touche une prime de 8,5 millions d'€. Jéjé avait perçu un trentième de cette somme, soit 300 000. C'est déjà pas mal, c'est vrai. Mais si on est 30 fois mieux payé pour faire perdre 3 fois ce qu'un autre a fait gagner, ce ne sont plus les milliards, mais les règles qu'on se met à chercher : elles sont passées où, au juste ?

Le temps que quelqu'un réponde, la vie de Jéjé a basculé. Auditions internes jusque tout en haut de la direction (il faut bien que l'entreprise mette sa stratégie d'attaque en place - et s'il y avait blanchiment d'argent, fraude fiscale, vol ?...), mise en examen, auditions à la brigade financière (il faut bien que l'instruction se fasse sa propre opinion), perquisition au domicile (il faut bien des preuves), garde à vue, instruction (reprenons depuis le début). Face aux interrogatoires, Jéjé ne se démonte pas, il a sa conscience pour lui, transparence totale, pas d'orgueil, pas de vexations, pas de limite, à la vie comme au travail, seul le résultat compte ; il pense qu'en disant la vérité, toute la vérité, comme il a toujours fait, comme il s'est toujours comporté, il sera récompensé.

Pour l'instant, en attente du jugement c'est la prison. Et celui qui sympathise avec lui est incarcéré pour viol.

Ici s'arrête le récit. L'instruction est terminée, Jéjé est en liberté surveillée, le procès va commencer. Pour lui, c'est clair, l'instruction a été « sponsorisée par la SG ». Hum. Bien. Bon. C'est chaud. C'est chaud. Solide le gars quand même.



Le récit est passionné, passionnant et laisse découvrir une personne complètement enrôlée dans un système qui met dès le début sa bonne foi en jeu contre un système de règles dont personne n'a su faire de synthèse. En bas de l'échelle, comme ses neurones fonctionnent et que son coeur encaisse tout, Kerviel a relevé tous les défis jusqu'à mettre l'autorité face à ses contradictions – ce qu'elle n'accepte jamais.
On comprend la situation : un procès mené contre une banque pour quelque chose comme « comptes pas clairs » pourrait mener à la banqueroute. Mieux vaut déplacer l'attention. La meilleure défense, c'est l'attaque. Imposer au salarié de se justifier évite que la banque le fasse. Quand le procès sera terminé, dans quelques années, on se sera discrètement adapté, et on aura essuyé la tempête. Mieux vaut un salarié en prison qu'une banque à genoux – et ses cent mille salariés au chômage. L'impression que l'ascenseur qui était monté si haut dans les tours, une fois les câbles coupés, il se l'est pris sur les pieds, Kerviel. Après ces quelques pages, et tous ces événements, on a l'impression de l'avoir connu, d'avoir été à ses côtés – à sa place ?

L'impression aussi que personne ne comprend rien dans cette histoire : la hiérarchie reste incrédule devant les sommes que fait gagner leur trader parce qu'elle ne comprend pas comment il fait. Si elle avait su rationaliser une méthode pour faire des gains mirifiques, ce serait fait depuis longtemps. L'activité est elle-même hors normes. L'important est que ça rentre. Tout le monde, du trader au DG, découvre comment fonctionne la finance, émerveillé. On relève les barrières et ça rentre encore plus vite… Qui aurait osé l'arrêter ? Pour quelle raison ?... Sauf qu'à un moment, même une structure de cent mille personnes a des comptes à rendre [sic]. Alors on fait tout redescendre. Personne n'était au courant, disent-ils. Ce n'est pas tout à fait faux : personne n'a compris – mais tout le monde a fait en sorte que ça marche – et en a profité. C'était la finalité de la fonction.

De son côté, Kerviel met sa bonne foi en jeu. Il ne comprend pas que la hiérarchie n'ait plus rien à lui dire : il la respecte, attend les satisfécits, ne comprend pas les reproches, prend les accusations personnellement, comme s'il avait mal fait son travail. Il ne saisit pas que sa bonne foi est hors-jeu depuis longtemps : c'est tout simplement l'énormité du scandale qu'il faut couvrir. C'est précisément sa volonté, son engagement et sa loyauté, par un travail faramineux, qui ont mis en évidence que, dans ce secteur d'activité, la culture du résultat peut ne plus avoir ni règles ni limites. La finance, c'est de la confiance, non ? Tout le monde avait confiance en lui. Et lui plus que les autres : Kerviel a presque obtenu celle de la zone euro. En continuant de défendre son travail, il montre qu'il n'a pas compris qu'il a fait plier tout un pan de l'économie, qu'il a fait perdre ses références à tout le système financier, qu'il est allé plus loin que quiconque dans la compréhension d'un système qui ne se comprend plus lui-même… Il est saisissant que ce dont s'inquiètent les patrons de la SG, c'est qu'il reste en vie, ne mette pas fin à ses jours : on est vraiment arrivé au bout de l'affaire, revenu aux fondamentaux : la vie ; comme si le maintien en vie faisait lui aussi partie de la gestion des risques… Il était tout simplement assez solide pour faire sauter le système financier tout entier… qui manifestement était mis pour la première fois face à ses contradictions.

Dans ce combat entre bonne foi rigoureuse d'un salarié surperformant et froide mécanique d'un système enrayé, il fallait bien une fin, que l'un des deux craque. La prison d'un salarié plutôt que les licenciements massifs et la crise économique d'une banque en procès ?... Peut-être. Mais l'accusation serait lourde : il y a eu une instruction tout de même ; faut-il croire, comme Kerviel l'écrit qu'elle était partisane ? Ce serait bien lourd… À moins que faire durer encore, aller en cassation, soit la seule résolution possible ?... Pendant ce temps, c'est la vie qui passe... Ce serait à creuser, pour comprendre… mais Kerviel ne se démonte pas : il faut être sacrément solide pour continuer à avoir du répondant devant les règles judiciaires après avoir répondu à celles de l'économie, du travail, des relations sociales. Têtu comme un Breton, on dit. Tu m'étonnes.

Sa vie a craqué, mais l'économie aussi. On se demande alors s'il faut à chaque fois une vie pour remettre en cause une institution (Snowden, Manning, Kerviel…), puisqu'il faut que toute la logique d'un système soit appréhendée par un.e seul.e qui en fasse la synthèse – laquelle échappe à tous les autres – qui ne lui pardonnent pas de les avoir éclairés… La SG, la banque et la finance en général, en leur faisant comprendre comment elles fonctionnent, il les a plutôt sauvées, Kerviel. Ou les a au moins révolutionnées. La jeunesse aura toujours tort d'avoir des illusions – et la vieillesse trouvera toujours le moyen de rester planquée en seconde ligne pour les lui créer – et les lui ôter. La morale est rude.

Je lirai avec plaisir son second bouquin.
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Très bien écrit, ce livre se lit comme un roman. On y découvre un aperçu du monde du trading.
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Ayant vécu ce qu'il décrit, mais à moindre échelle, je connais la duplicité des systèmes basés sur le bonus. Jérôme Kerviel est un héros.
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Intéressant et surprenant de voir l'affaire Kerviel, de l'intérieur
Par contre des notions bancaires assez compliquées
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